L’Institut canadien d’information juridique a publié récemment une décision clé en matière d’action collective qui est passée sous le radar. Dans l’affaire Graham et al v. Hoffmann-La Roche Limited et al. (l’« affaire Graham »), la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan (la « Cour ») a radié le rapport de l’expert présenté par les demandeurs relativement au lien allégué entre un médicament bien connu servant à traiter l’acné sévère (le « médicament ») et des maladies inflammatoires de l’intestin (« MII »). La Cour a également refusé d’autoriser l’action collective nationale proposée.
Trois des auteurs du présent bulletin, soit Gord McKee, Catherine Beagan Flood et Daniel Szirmak, ont représenté le fabricant du médicament dans le cadre de cette affaire, conjointement avec un conseiller juridique local (devenu depuis un juge de la Cour).
Motifs de la radiation de la preuve d’expert
Les demandeurs ont déposé un rapport d’expert rédigé par un gastroentérologue (l’« expert proposé ») à l’appui de leur demande d’autorisation d’une action collective. Ils invoquaient ce rapport afin d’établir un fondement factuel pour une question commune concernant le lien de causalité sous-jacente à toutes les autres questions communes. De l’avis de l’expert proposé, il était probable que le médicament pouvait causer des MII chez certains patients.
Les défendeurs ont présenté une requête en radiation de cette preuve pour divers motifs :
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l’expert proposé ne détenait pas l’expertise requise pour exprimer les avis figurant à son rapport;
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la preuve produite par l’expert proposé était partiale et non objective;
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la preuve n’était pas fiable, sa méthodologie étant incomplète et non valide sur le plan scientifique, et ne cadrant pas avec les méthodes scientifiques généralement acceptées pour la détermination d’un lien de causalité.
Le juge saisi de la requête a convenu de l’inadmissibilité de ce rapport d’expert.
Dans sa décision, la Cour s’est rapportée à la démarche en deux temps établie dans le cadre de l’affaire White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co. de la Cour suprême du Canada (l’« affaire White Burgess ») pour déterminer l’admissibilité d’un témoignage d’expert. Comme les tribunaux ne peuvent pas procéder à l’évaluation de la valeur probante de témoignages d’expert à l’étape de l’autorisation d’une action collective, la Cour a conclu qu’elle ne devait pas, à l’étape de la demande d’autorisation, tenir compte du deuxième volet de la démarche susmentionnée, lequel prévoit l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge en tant que « gardien ». La Cour a toutefois évalué l’admissibilité du rapport d’expert aux termes de l’ensemble des composantes du premier volet de cette démarche. Finalement, la Cour a accueilli la requête en radiation présentée par les défendeurs, au motif que l’expert proposé ne possédait pas la qualification suffisante pour donner son avis sur le lien de causalité allégué. Bien que la Cour ait reconnu l’expérience de cet expert en tant que médecin traitant et ses connaissances générales en matière de gastroentérologie, elle n’a pas reconnu qu’il possédait une expertise des questions particulières sur lesquelles il avait donné son avis, nommément la cause et la pathologie des MII. Son expertise portait sur le diagnostic et le traitement des MII, et non sur leurs causes. La Cour a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel le critère relatif à la qualification d’un expert proposé est moins rigoureux dans le contexte de l’autorisation d’une action collective que dans d’autres contextes.
La Cour a noté également que, pour en arriver à son opinion, l’expert proposé n’avait pas entrepris la démarche nécessaire pour appliquer sa formation médicale au développement d’une expertise sur la cause des MII. En particulier, le simple fait qu’il ait passé en revue des articles qui lui avaient été fournis par les conseillers juridiques des demandeurs ne faisait pas de lui un expert.
Motifs du refus de l’autorisation de l’action collective
La Cour a refusé l’autorisation de l’action collective au motif principal que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir un fondement probatoire suffisant quant au lien de causalité allégué entre l’utilisation du médicament et les MII. Il s’agissait d’un élément essentiel des causes d’action alléguées par chacun des demandeurs et des questions communes proposées.
La Cour a aussi déterminé que les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer une méthodologie en vue d’établir le lien de causalité allégué à l’échelle du groupe proposé. La décision rendue dans l’affaire Graham rappelle une décision rendue il y a plusieurs années par la Cour supérieure du Québec (la « CSQ ») dans l’affaire Lebrasseur c. Hoffmann-La Roche ltée, dans laquelle une demande d’autorisation d’action collective au Québec, au nom d’un groupe de personnes similaire ayant consommé le médicament et souffert de MII, avait été refusée. Dans cette affaire, la CSQ a indiqué que la preuve était insuffisante pour établir un lien de causalité entre le médicament et la maladie de Crohn alléguée par le requérant québécois.
La décision de la Cour de radier le rapport d’expert proposé, résumée ci-dessus, a été déterminante dans sa décision de refuser d’autoriser l’action collective. Selon la Cour, si cette preuve avait été admise, elle aurait établi un fondement suffisant pour l’autorisation de la question proposée concernant le lien de causalité allégué entre le médicament et les MII.
La Cour a rejeté les arguments des demandeurs selon lesquels les éléments suivants permettaient d’établir un fondement factuel suffisant pour la question commune concernant le lien de causalité:
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la littérature scientifique soumise;
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les déclarations d’effets indésirables faites à Santé Canada;
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un énoncé dans une monographie de produit de l’un des défendeurs stipulant que le médicament [TRADUCTION] « a été associé temporellement aux maladies inflammatoires de l’intestin ».
La Cour a ensuite reconnu que la preuve d’expert des défendeurs avait démontré que la question commune concernant le lien de causalité proposée par les demandeurs ne reposait sur aucun fondement factuel.
Par ailleurs, la Cour a précisé que si l’action collective avait été autorisée, elle aurait restreint le groupe aux résidents de la Saskatchewan seulement, notamment parce que le conseiller juridique du groupe avait omis de fournir, conformément à la loi, un avis approprié aux conseillers juridiques participant à des actions collectives parallèles intentées dans d’autres provinces. Fait à noter, ces autres affaires ont été soit rejetées, soit abandonnées depuis que la décision a été rendue dans la présente affaire (voir, à titre d’exemple, la décision rendue dans l’affaire Patkus v Hoffmann- La Roche et al.).
Conclusion et répercussions
La décision rendue par la Cour dans l’affaire Graham met en lumière le fait que, dans le cadre d’une demande d’autorisation d’action collective, une preuve d’expert doit satisfaire le premier volet du critère d’admissibilité établi dans l’affaire White Burgess. Elle souligne également que d’autres éléments de preuve, censés constituer un fondement factuel suffisant pour des questions communes concernant le lien de causalité allégué, doivent être analysés attentivement pour déterminer s’ils étayent réellement une telle affirmation ou plutôt une question de portée plus limitée.
Une preuve d’expert proposée par les défendeurs peut être prise en compte par le tribunal et même être déterminante à l’étape de l’autorisation dans certains cas, même si sa valeur probante ne peut être appréciée. De plus, cette affaire vient souligner l’importance du rôle de « filtrage » exercé par le juge au stade de l’autorisation. Enfin, elle vient réaffirmer l’importance de prouver l’existence d’un lien de causalité à l’échelle du groupe proposé lorsqu’un tel lien constitue un élément essentiel d’une cause d’action ou d’une question commune proposée.
Pour en savoir davantage, communiquez avec :
Claude Marseille +1-514-982-5089
Gordon McKee +1-416-863-3884
Catherine Beagan Flood +1-416-863-2269
Daniel Szirmak +1-416-863-2548
ou un autre membre de nos groupes Actions collectives, Litige et règlement des différends ou Sciences de la vie.
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