Introduction
Le 11 janvier 2024, la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « Cour ») a publié sa décision dans l’affaire Bank of Montreal v. Haro-Thurlow Street Project Limited Partnership, laquelle donne des précisions sur l’approche adoptée par les tribunaux de la Colombie-Britannique saisis d’une demande de nomination d’un séquestre à l’égard d’actifs immobiliers. Cette décision intéressera particulièrement les prêteurs détenant des sûretés dans le cadre de projets immobiliers ainsi que d’autres parties prenantes dans des entreprises immobilières.
Contexte
Dans cette affaire, les débiteurs étaient propriétaires d’un immeuble locatif commercial et résidentiel à usage mixte à Vancouver (l’« immeuble »). En mai 2023, ils ont tenté sans succès de vendre l’immeuble et se sont trouvés en défaut quant à leurs obligations au titre de prêts en juillet 2023. En décembre 2023, la banque a demandé qu’un séquestre soit nommé en vue de la vente de l’immeuble.
Dans la demande de mise sous séquestre, la banque a invoqué le critère multifactoriel couramment utilisé pour décider s’il est « juste ou opportun » de nommer un séquestre.
Pour contrer la demande de la banque, les débiteurs ont avancé que la demande de nomination d’un séquestre correspondait plus exactement à une demande en forclusion d’un bien immeuble à laquelle des règles et des incidences différentes s’appliquent. Ils ont fait valoir qu’en Colombie-Britannique, la procédure de forclusion standard accorde automatiquement aux débiteurs un délai de rachat de six mois durant lequel aucune mesure ne peut être prise en vue de la mise sur le marché ou de la vente de l’immeuble. Selon eux, une demande de mise sous séquestre ne peut servir à contourner ni une procédure de forclusion ni le droit de rachat assorti d’un délai de six mois dont les débiteurs peuvent se prévaloir.
La décision de la Cour
La Cour a rejeté l’argument des débiteurs selon lequel la procédure de forclusion de la Colombie-Britannique prévoit que tous les propriétaires immobiliers jouissent d’un droit à un délai de rachat automatique de six mois lorsque la nomination d’un séquestre est demandée. La Cour a plutôt confirmé que les prêteurs garantis disposent de deux voies de recours lorsqu’ils cherchent à réaliser une sûreté grevant des biens immobiliers, à savoir la mise sous séquestre ou la forclusion.
Dans le cadre d’une procédure de forclusion, un délai de rachat de six mois est généralement accordé, à moins que des circonstances particulières ne justifient un délai plus court. Il incombe alors au créancier garanti de prouver l’existence de circonstances particulières, lesquelles découlent, la plupart du temps, de capitaux insuffisants ou d’un risque quelconque visant le bien qui requiert une action immédiate.
Dans le cadre d’une mise sous séquestre, laquelle est une procédure plus souple, comme l’a reconnu la Cour, des principes similaires s’appliquent, c’est-à-dire que le créancier doit justifier la nomination d’un séquestre. En outre, la Cour a rappelé qu’il s’agit d’un redressement extraordinaire qui doit être accordé avec prudence et modération. Bien que la Cour ait rejeté l’argument voulant qu’un délai de rachat automatique de six mois s’applique à une mise sous séquestre, elle a souligné que le droit de rachat en equity du débiteur continue d’exister peu importe la voie de recours choisie. Par conséquent, le droit de rachat du débiteur sera l’un des facteurs qu’un tribunal prendra en considération avant de décider de nommer, ou non, un séquestre en se fondant sur le critère permettant de déterminer s’il est « juste ou opportun » de le faire ainsi que sur l’étendue des pouvoirs du séquestre, compte tenu, notamment, du pouvoir de mettre un bien sur le marché et des délais y afférents. En ce qui a trait à l’incidence du droit de rachat sur la mise sous séquestre demandée, la question fondamentale qu’un tribunal doit se poser concerne le délai qui devrait être accordé aux emprunteurs pour leur permettre de tenter de racheter l’immeuble en cause avant que le tribunal se penche sur une demande d’ordonnance d’approbation de la vente de l’immeuble.
Dans cette affaire, la Cour a déterminé qu’il était juste et opportun de nommer immédiatement un séquestre, sous réserve de certaines limites (dont il est question ci-dessous). Elle a conclu que les débiteurs avaient déjà eu le temps de refinancer leur emprunt garanti ou de vendre l’immeuble, mais n’avaient fait ni l’un, ni l’autre, ce qui jouait en faveur de la nomination d’un séquestre et d’une ordonnance de procéder à la vente de l’immeuble dans un délai de moins de six mois. Un autre facteur important dans la décision de la Cour était que le fait de retarder la mise en vente de l’immeuble de six mois, comme le demandaient les débiteurs, augmenterait le risque couru par la banque quant à sa capacité de réaliser sa sûreté compte tenu de l’information fournie à la Cour au sujet de la valeur de l’immeuble. La Cour a également pris en considération la nature de l’immeuble, soit une entreprise en exploitation ayant des locataires commerciaux et résidentiels, ainsi que l’expertise particulière requise pour vendre l’immeuble.
La décision de la Cour de nommer immédiatement le séquestre avait pour but de permettre à celui-ci de faire examiner l’immeuble et d’envisager comment procéder à la mise en œuvre de la vente de celui-ci. Toutefois, à la lumière des facteurs mentionnés précédemment, la Cour a ordonné que le processus ne soit pas entrepris avant six semaines et qu’une demande visant la vente de l’immeuble ne puisse être présentée avant avril 2024. Cette approche tient compte à la fois de la nécessité d’une action en temps opportun tout en donnant aux débiteurs une possibilité raisonnable de refinancer l’immeuble.
Principaux points à retenir
Cette affaire fournit des précisions sur le critère juridique à utiliser lorsqu’un créancier garanti demande la nomination d’un séquestre à l’égard d’actifs immobiliers. Elle confirme également que le droit de nommer un séquestre est l’une des deux voies de recours offertes aux prêteurs (l’autre étant une demande en forclusion). Alors que le droit de rachat en equity du débiteur sera pris en considération, les prêteurs et les emprunteurs ne devraient pas présumer qu’un délai de rachat de six mois (soit la norme en Colombie-Britannique) est automatiquement accordé à chaque procédure de mise sous séquestre, comme c’est le cas dans le contexte d’une forclusion. Dans le cadre de son analyse globale en vue de déterminer si la nomination d’un séquestre est juste ou opportune, le tribunal examinera différents facteurs, dont le droit de rachat en equity. Toutefois, les prêteurs qui demandent la nomination d’un séquestre doivent garder à l’esprit que le débiteur dispose d’un droit de rachat et être en mesure de fournir au tribunal des éléments de preuve ainsi que des explications à l’appui de la nécessité d’une nomination immédiate d’un séquestre.
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