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Un tribunal ontarien confirme que la clause d’élection de for n’a pas le dernier mot sur le lieu de l’arbitrage

Par Laura Cundari, Tom Wagner et Sara Hosaini (étudiante d’été en droit)
5 juillet 2024

Introduction

Dans l’affaire Tehama Group Inc. v. Pythian Services Inc., la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a fourni des commentaires éclairants sur l’interaction entre les clauses d’arbitrage et les clauses d’élection de for, et a rejeté une demande d’annulation d’une sentence arbitrale. La Cour a noté que la clause d’arbitrage désignait sans équivoque la ville de Toronto, en Ontario, comme le lieu de l’arbitrage, et que la clause d’élection de for renvoyant aux tribunaux de New York n’avait pas comme conséquence de modifier l’instance applicable pour contester une sentence arbitrale.

Contexte

Tehama Group Inc. (« Tehama »), une société par actions de l’Ontario, et Pythian Services Inc. (« Pythian »), une société du Delaware, ont conclu une convention d’achat d’actifs dans un contexte transfrontalier (la « CAA »). La CAA renfermait des dispositions relatives à de possibles rajustements du prix d’achat à la clôture, dont la perspective d’un paiement par Pythian à Tehama d’un montant supplémentaire conditionnel au bénéfice réalisé par l’entreprise en 2021 (la « contrepartie conditionnelle »).

Conformément à la CAA, tout différend surgissant à la clôture en lien avec un rajustement du prix d’achat et un paiement supplémentaire éventuel serait soumis à un arbitrage du « bureau de Toronto » de PricewaterhouseCoopers s.r.l. (« PwC »). La CAA comprenait également des dispositions relatives à l’instance et au droit applicables, selon lesquelles tout différend éventuel entre les parties serait tranché par les tribunaux de New York en vertu du droit de New York. Cette clause d’élection de for excluait expressément les différends se rapportant aux rajustements du prix d’achat, qui, comme convenu, seraient soumis à un arbitrage de PwC. Cependant, elle n’excluait pas expressément les différends se rapportant aux paiements supplémentaires éventuels, comme la contrepartie conditionnelle.

Les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur le seuil fixé pour la contrepartie conditionnelle, ce qui a incité Tehama à entamer une procédure d’arbitrage à Toronto. L’arbitre saisi de l’affaire s’est dit d’accord pour l’essentiel avec l’approche de Pythian quant au calcul de la contrepartie conditionnelle.

À la suite de la décision arbitrale, Tehama a demandé à la Cour d’annuler la sentence arbitrale en vertu de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international de l’Ontario. Pythian a quant à elle demandé à la Cour de surseoir à la demande de Tehama, en s’appuyant sur les dispositions relatives à l’instance et au droit applicables comprises dans la CAA. Selon Pythian, toute demande d’annulation de la sentence arbitrale devait être présentée devant les tribunaux de New York en vertu du droit de New York. Pythian a par ailleurs fait valoir qu’il n’était pas clair que Toronto, en Ontario, était le lieu d’arbitrage.

Décision

La Cour a rejeté la requête de Pythian de suspendre la demande de Tehama visant à annuler la sentence arbitrale. Elle a noté que les parties avaient choisi Toronto comme lieu d’arbitrage pour tous les différends se rapportant aux rajustements du prix d’achat et aux paiements supplémentaires éventuels. Elle a également souligné que ces différends étaient expressément exclus de la clause d’élection de for qui accordait aux tribunaux de New York une compétence exclusive. Toronto ayant été choisie comme lieu d’arbitrage, toute demande d’annulation d’une sentence arbitrale devait être présentée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

Dans son raisonnement, la Cour s’est fondée sur le principe d’interprétation des contrats qui vise à éviter les incohérences logiques et a affirmé que, puisque les dispositions relatives aux paiements supplémentaires éventuels comprises dans la CAA prévoyaient une clause de règlement des différends « mutatis mutandis », il était clairement prévu que les différends portant sur les paiements supplémentaires éventuels soient soumis à un processus d’arbitrage similaire. La Cour a également signalé que le fait que les parties aient nommé expressément le « bureau de Toronto » de PwC à titre d’arbitre pour le différend était éloquent. L’interprétation selon laquelle les parties avaient eu l’intention de soumettre à l’arbitrage les différends se rapportant aux paiements supplémentaires éventuels au lieu désigné pour l’arbitrage, soit Toronto, cadre avec la conduite des parties, puisqu’elles ont effectivement soumis leur différend à l’arbitrage du bureau de Toronto de PwC, conformément aux modalités de la CAA.

Enfin, la Cour a rejeté l’argument de Pythian voulant que l’exclusion prévue dans la clause d’élection de for se limitait aux différends portant sur les rajustements du prix d’achat et ne s’appliquait donc pas aux différends portant sur les paiements supplémentaires éventuels. La Cour a indiqué que cette interprétation entraînerait une absurdité du point de vue commercial, car elle assujettirait les différends se rapportant aux paiements supplémentaires éventuels à la compétence exclusive des tribunaux de New York tout en exigeant que ces différends soient réglés par PwC à Toronto.

Principaux points à retenir

Les dispositions relatives au règlement des différends qui excluent les rajustements du prix d’achat sont très courantes dans le cadre d’opérations transfrontalières. Il est important qu’un expert en arbitrage examine les dispositions relatives au règlement des différends, de même que l’interaction que peuvent avoir celles-ci avec toute exclusion visant le règlement d’un différend portant sur un objet précis par un arbitre ou un expert, afin de s’assurer que les processus préétablis par les parties se déroulent comme prévu.

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