Sauter la navigation

Vente de pièces de moteur de navire : la CSC se prononce sur la limitation de responsabilité

10 décembre 2019

La Cour suprême du Canada (la « CSC ») s’est récemment prononcée sur la question du partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Même si cette décision importante a été rendue dans le contexte du droit maritime canadien, elle pourrait avoir de vastes répercussions en matière contractuelle ainsi que sur les différends portant sur le transport transfrontalier de marchandises et la construction de projets de ressort fédéral.

CONTEXTE

En octobre 2006, Transport Desgagnés inc. (« TDI ») a acquis des pièces de moteur destinées à un navire de sa flotte, soit le NM Camilla Desgagnés (le « navire Camilla »), auprès de Wärtsilä Canada Inc. et de Wärtsilä Netherlands B.V. (« Wartsila »). Le contrat était assorti d’une garantie limitée, et la responsabilité de Wartsila y était limitée à 50 000 €. La clause de désignation du droit applicable stipulait que le contrat était régi par les lois en vigueur à l’endroit où étaient établis les bureaux de Wartsila, soit à Montréal, au Québec.

En octobre 2009, le navire Camilla est mis hors service en raison d’une avarie causée par un vice caché dans les pièces de moteur fournies par Wartsila. TDI subit en conséquence des dommages de l’ordre de plus de 5,6 M$ CA. TDI entame alors une poursuite pour ce montant, invoquant qu’en vertu du Code civil du Québec (le « CCQ »), la garantie limitée ainsi que la limitation de responsabilité dans le contrat sont interdites. En effet, aux termes des articles 1729 et 1733 du CCQ, un « vendeur professionnel » ne peut exclure ni limiter sa responsabilité quant à la qualité d’un bien à moins d’avoir révélé les vices qui affectent celui-ci. Qui plus est, dans le cas d’une vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce.

Or, le droit maritime canadien n’interdit pas les garanties limitées et les limitations de responsabilité. Wartsila fait valoir qu’en l’espèce, c’est le droit maritime canadien qui régit le contrat, et non le droit québécois.

Dans cette affaire, les tribunaux devaient trancher la question de savoir si le conflit relève de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires ou bien de la compétence du Québec sur la propriété et les droits civils, ou des deux.

ARRÊT DE LA CSC

Dans l’affaire Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., la CSC a statué que le CCQ s’appliquait en l’espèce, ce qui empêchait donc Wartsila de limiter sa responsabilité et la durée de sa garantie. Les juges majoritaires et minoritaires sont parvenus à la même conclusion, mais pour des raisons différentes.

Selon les trois juges minoritaires, bien que la vente de pièces de moteur de navire se soit produite dans un contexte maritime, le contrat, de par son caractère véritable, relève de la propriété et des droits civils. Par conséquent, le contrat est régi exclusivement par le CCQ.

Les six juges majoritaires ont adopté une approche plus nuancée et invoqué la doctrine du fédéralisme souple. Après avoir passé en revue le contenu et la portée du droit maritime canadien, les juges majoritaires ont eu recours au test du lien intégral pour établir si une matière relève de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires.

L’application du test du lien intégral a amené les juges majoritaires à conclure que la vente de pièces de moteur destinées à un bâtiment commercial est régie par le droit maritime canadien. Toutefois, les juges majoritaires ont également statué que rien n’empêche l’applicabilité simultanée de lois provinciales. Étant donné l’absence de lois fédérales à l’effet contraire, les doctrines de la prépondérance fédérale et de l’exclusivité des compétences ne s’appliquent pas. Par conséquent, « les lois provinciales d’application générale sont applicables et opérantes pour ce qui est de la vente de navires (ou de pièces de moteur de navire) ».

RÉPERCUSSIONS

Le droit de limiter la responsabilité est un principe de base du droit maritime canadien. Les limitations de responsabilité sont également monnaie courante à l’égard des autres modes de transport interprovincial et international. L’arrêt de la CSC signifie donc que les clauses de limitation peuvent être annulées par l’application de lois provinciales en l’absence de loi fédérale contraire.  

En outre, l’arrêt de la CSC se démarque de la position mise de l’avant dans des décisions antérieures selon laquelle le droit maritime canadien devrait être uniforme dans l’ensemble du Canada. Les juges minoritaires suggèrent que le principe d’uniformité s’applique aux délits maritimes, mais non aux contrats dans un contexte maritime. Les juges majoritaires se sont fondés sur le principe d’uniformité pour conclure que le droit maritime canadien s’applique en l’espèce. Cependant, ils ont statué que ce principe doit être écarté lorsque le CCQ s’applique également. Par conséquent, les juges majoritaires laissent entendre qu’il y a de plus en plus de place pour l’application des lois provinciales en matière contractuelle dans des secteurs par ailleurs régis par le droit fédéral. 

La répercussion la plus immédiate de cette décision concerne la clause de désignation du droit applicable. En effet, il arrive bien souvent dans un contrat qu’une telle clause stipule que les lois du Canada et celles d’une province donnée s’appliquent, étant présumé que le droit fédéral ne régit que certains aspects du contrat. Les parties contractantes devront donc examiner ces clauses encore plus attentivement. Ainsi, si leur intention est de limiter la responsabilité, elles devront s’assurer que le droit provincial permet les limites dont elles ont convenu et adapter en conséquence le libellé de la clause de désignation du droit applicable.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Charles Kazaz                           514-982-4002
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