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Guide de Blakes

Litige et règlement des différends au Canada

Chapitre IX : Jugements étrangers


Au Canada, les litiges en matière de brevet sont généralement entendus par la Cour fédérale du Canada (la « Cour fédérale »), qui a une compétence concomitante sur les dossiers de contrefaçon de brevet et une compétence exclusive sur les dossiers qui visent à faire annuler, invalider ou révoquer un brevet.

Les procédures engagées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « RMB(AC) ») suivent un ensemble de règles légèrement différent de celui qui s’applique habituellement aux procédures en matière de brevet. Il est donc important pour les sociétés pharmaceutiques qui cherchent à faire valoir ou à défendre leurs brevets au Canada d’être bien au fait des règles particulières qui s’appliquent dans le cadre de procédures en vertu du RMB(AC).

1. Cour fédérale du Canada

La Cour fédérale est un tribunal national ayant compétence pour trancher les litiges qui lui sont confiés en vertu de la loi et qui touchent les domaines assujettis à la législation fédérale. Ces litiges comprennent les différends relatifs à la propriété intellectuelle (« PI »), comme les procédures en vertu du RMB(AC).

La Cour fédérale peut siéger n’importe où au Canada; d’ailleurs, ses juges doivent se déplacer régulièrement partout au pays pour entendre des affaires qui relève de sa compétence. Le greffe a un bureau dans chacune des grandes villes du Canada, ce qui garantit l’accessibilité pour les plaideurs dans l’ensemble du pays.

Au Canada, les litiges en matière de brevet, y compris les procédures en vertu du RMB(AC), sont tranchés par un juge seulement. Les litiges en matière de propriété intellectuelle sont souvent confiés à des juges qui font partie de la Chambre de la propriété intellectuelle et de la concurrence de la Cour fédérale, laquelle est formée de juges ayant une expérience et des connaissances spécialisées en droit de la propriété intellectuelle, y compris en ce qui a trait aux litiges en matière de brevet. Une liste des juges de cette chambre spécialisée est disponible en ligne.

2. Régime du RMB(AC)

Pour faire exécuter un jugement étranger au Canada, une partie doit obtenir une ordonnance d’un tribunal canadien. Les tribunaux canadiens ont adopté une approche souple et libérale en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers. Entre autres, le tribunal étranger devait avoir compétence. La compétence du tribunal étranger est établie en examinant s’il existait un lien réel et substantiel entre le défendeur et le ressort étranger au moment où l’action a été intentée. Si le défendeur résidait dans le ressort étranger lorsque l’action a été intentée, ou si le défendeur a reconnu ou accepté de reconnaître volontairement la compétence du tribunal étranger, celui-ci sera reconnu comme compétent. Les règles régissant l’exécution d’un jugement étranger en vertu du régime de droit civil du Québec sont légèrement différentes.

2.1 Avis de conformité, présentation de drogue et registre des brevets

Au Canada, le ministre de la Santé (le « Ministre ») est responsable : 1) de la délivrance d’avis de conformité autorisant la commercialisation de médicaments d’ordonnance qui respectent les exigences réglementaires; et 2) de la tenue d’un registre des brevets (le « Registre des brevets ») qui sont liés aux drogues « innovantes » approuvées.

Pour obtenir un avis de conformité pour une drogue innovante, une société pharmaceutique (soit la « première personne » au sens du RMB(AC)) doit déposer une présentation de drogue nouvelle. Une société pharmaceutique qui dépose une présentation de drogue nouvelle pour une drogue innovante peut également soumettre au Ministre une liste de brevets relatifs à la drogue innovante aux fins d’inscription au Registre des brevets. Pour être admissibles à l’inscription au Registre des brevets, les brevets doivent comporter une revendication de l’ingrédient médicinal approuvé, de la forme posologique, de la formulation ou de l’utilisation de l’ingrédient médicinal.

2.2 Avis d’allégation

Une société pharmaceutique qui souhaite plutôt obtenir un avis de conformité à l’égard d’un produit générique basé sur une drogue innovante (soit la « seconde personne » au sens du RMB(AC)) doit déposer une présentation abrégée de drogue nouvelle pour une drogue « à petites molécules » (ou une présentation de drogue nouvelle pour un médicament biosimilaire). La présentation de nouvelle drogue de la seconde personne doit établir une comparaison directe ou indirecte avec une drogue innovante qui repose sur des brevets inscrits dans le Registre des brevets.

La société pharmaceutique qui a déposé la présentation abrégée de drogue nouvelle et qui établit une telle comparaison doit (1) attendre que les brevets de la drogue innovante au Registre des brevets expirent, ou (2) demander la délivrance accélérée de son avis de conformité en invoquant que les brevets au Registre des brevets sont invalides, que ces brevets sont inadmissibles à l’inscription au Registre des brevets ou qu’elle ne contrefait pas ces brevets.

Ces allégations, y compris les fondements juridiques et factuels qui les sous-tendent, doivent être détaillées dans un Avis d’allégation produit par la seconde personne et signifié au fabricant de la drogue innovante.

Après s’être vu signifier l’avis d’allégation, la première personne dispose d’un délai de 45 jours pour décider d’intenter ou non une action devant la Cour fédérale (c’est-à-dire pour entreprendre une procédure en vertu du RMB(AC)) en contrefaçon de brevet à l’encontre de la seconde personne qui a présenté l’avis d’allégation.

Si le fabricant de la drogue innovante décide de ne pas entreprendre de procédure en vertu du RMB(AC), le Ministre entamera ensuite le processus d’approbation de la deuxième présentation abrégée de drogue nouvelle dès lors qu’elle répondra aux exigences habituelles de la législation fédérale, notamment en matière d’innocuité, d’efficacité et de qualité. Dans un tel cas, et si le Ministre délivre un avis de conformité, le fabricant de la drogue innovante sera à jamais empêché, sauf exceptions limitées, de faire valoir les brevets qu’il a inscrits au Registre des brevets dans le cadre d’une action en brevets ordinaire contre la seconde société pharmaceutique.

3. Entreprendre une procédure en vertu du RMB(AC) et implications connexes

Les actions engagées en vertu du RMB(AC) sont semblables, sur le plan de la procédure, aux autres procédures civiles au Canada. Par exemple, les parties ont l’obligation de procéder à un échange initial d’actes de procédure. Voir chapitre II, rubrique 1.2 « Actes de procédure ».

Les procédures en vertu du RMB(AC) comportent toutefois des distinctions importantes, lesquelles, pour la plupart, sont intégrées à la procédure elle-même en vue d’accélérer les délais de procédure et de simplifier le processus.

Lorsque la première personne se voit signifier un avis d’allégation par la seconde personne, celle-ci dispose d’un délai de 45 jours pour intenter une action devant la Cour fédérale afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’une drogue, conformément à la présentation de drogue de la seconde personne, contreferait un de ses brevets. Dans les dix jours suivant la réception de l’acte introductif d’instance de la première personne, la seconde personne doit déposer et signifier un avis d’intention de répondre indiquant si elle entend ou non contester et/ou attaquer la validité du brevet concerné.

Fait important qui est propre aux procédures en vertu du RMB(AC), dès que la première personne amorce une action en réponse à un avis d’allégation, il devient automatiquement interdit au Ministre de délivrer à la seconde personne un avis de conformité pour une période totale d’au plus 24 mois (c’est-à-dire pour la période pendant laquelle les questions de l’action demeurent en suspens). Cette suspension du pouvoir du Ministre peut être levée si la procédure prend fin ou que la seconde personne a gain de cause. Cette suspension automatique est une distinction majeure avec les autres procédures en matière de contrefaçon de brevet, dans le cadre desquelles il est pratiquement impossible d’obtenir des injonctions préliminaires ou provisoires.

Si la première personne obtient gain de cause et que le brevet est jugé valable et contrefait, la seconde personne ne peut pas obtenir l’avis de conformité pour la drogue en question tant que le ou les brevets de la première personne n’ont pas expiré.

4. Gestion de l’instance dans les procédures en vertu du RMB(AC)

Les procédures en vertu du RMB(AC) sont gérées comme des cas particuliers, et la Cour fédérale joue un rôle actif dans le déroulement de la procédure. Voir chapitre II, rubrique 1.7 « Gestion de l’instance et conférences préparatoires au procès ».

Dès que la première personne entame une procédure en vertu du RMB(AC), un juge responsable de la gestion de l’instance est immédiatement nommé par le juge en chef de la Cour fédérale. Le juge responsable de la gestion de l’instance est souvent un juge adjoint (qu’on appelait antérieurement un protonotaire) de la Cour fédérale. Dans les sept jours suivant la réception de l’avis d’intention de répondre de la seconde personne, la première personne doit demander une première conférence de gestion de l’instance.

La première conférence de gestion de l’instance se tient habituellement dans les 28 jours suivant la date d’émission de l’acte introductif d’instance de la première personne. Les parties à l’instance doivent s’entendre rapidement sur les étapes et l’échéancier préparatoires, notamment en ce qui concerne les interrogatoires préalables et l’échange d’éléments de preuve.

Une fois les dates du procès fixées, les parties tiennent une première conférence de gestion de l’instruction pour discuter sur une base préliminaire des questions relatives au procès. Les parties tiennent habituellement une autre conférence de gestion de l’instruction au moins 30 jours avant le procès pour identifier les questions en litige et établir le calendrier du procès.

5. Échange de documents et constitution de la preuve

Sur le plan de la constitution de la preuve, les procédures en vertu du RMB(AC) sont pour l’essentiel semblables aux procédures civiles ordinaires au Canada (voir chapitre II, rubrique 1.3 « Constitution de la preuve »).

Cela dit, sur ce plan aussi, les procédures en vertu du RMB(AC) comportent certaines distinctions, lesquelles visent à améliorer l’efficacité de ce type de procédure. Par exemple, les parties à une procédure en vertu du RMB(AC) sont encouragées à procéder à l’échange de documents par voie électronique. Les interrogatoires préalables (et toutes les motions enjoignant de fournir des réponses qui n’ont pas obtenu de réponse lors du processus de constitution de la preuve) doivent suivre un déroulement efficace. La Cour fédérale limite d’ailleurs la quantité d’éléments autorisés à être présentés au titre de la constitution de la preuve dans le cadre de telles procédures. Chaque partie est tenue d’identifier un représentant de la société qui peut s’exprimer au sujet des questions pertinentes. Les interrogatoires préalables oraux de ce représentant de la société sont généralement limités à une seule journée par semaine de procès par partie, jusqu’à concurrence de quatre jours, et tout interrogatoire préalable subséquent (s’il y a lieu) est limité à une journée par partie.

Il est courant que la partie défenderesse procède à un interrogatoire des inventeurs de l’invention visée par le ou les brevets en cause. Cependant, contrairement aux litiges en matière de brevet aux États‑Unis, les interrogatoires de tiers demeurent rares. 

En outre, dans le cas de procédures en vertu du RMB(AC), les parties sont encouragées à échanger leurs documents dès que possible, avant le début du processus officiel de constitution de la preuve. D’ailleurs, avant même le début de l’action, la seconde personne doit soumettre ses documents pertinents, comme les sections applicables de sa présentation abrégée de drogue nouvelle et son avis d’allégation. La première personne doit quant à elle fournir les documents pertinents ayant trait à son invention avec son acte introductif d’instance.

6. Procédure préparatoire au procès

6.1 Échéances préalables au procès dans les procédures en vertu du RMB(AC)

Les parties à une procédure en vertu du RMB(AC) doivent respecter un échéancier préalable au procès dont elles conviennent réciproquement. La Cour fédérale fournit aux parties une Liste de contrôle de l’échéancier visant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), qui explique en détail les étapes à suivre. Cet échéancier comprend des dates limites pour les interrogatoires préalables et la soumission des éléments de preuve, notamment pour ce qui suit :

  • la signification des documents produits volontairement et des affidavits des documents;
  • les demandes de précisions;
  • les plans d’interrogatoires préalables et les dates limites pour compléter les interrogatoires préalables;
  • des tableaux qui présentent les revendications du ou des brevets en litige et la position des parties sur l’interprétation des revendications;
  • un énoncé conjoint des questions en litige;
  • un exposé conjoint des faits et un recueil conjoint des documents;
  • toutes preuves matérielles que les parties entendent utiliser au procès (échangées au moins 30 jours avant le procès);
  • la durée et le lieu du procès.

Les parties conviennent également de délais pour produire les preuves d’expert avant le procès. Il s’agit notamment d’échanger la preuve principale et de répondre aux rapports d’experts.

6.2 Requêtes et décisions interlocutoires dans les procédures en vertu du RMB(AC)

Comme dans toute procédure civile, les parties peuvent déposer des requêtes interlocutoires pour demander des mesures spécifiques à la Cour fédérale avant le procès (voir chapitre II, rubrique 1.4 « Requêtes et demandes interlocutoires »). Les requêtes les plus courantes dans le cadre de procédures en vertu du RMB(AC) comprennent celles visant l’établissement d’ordonnances préventives ou de non-divulgation, la production de documents pertinents dont il est question dans la présentation de drogue ou les documents d’invention, et l’autorisation de déposer des réponses aux rapports d’experts.

Dans le cadre d’une procédure en vertu du RMB(AC), si la décision du juge responsable de la gestion de l’instance ou du juge de première instance sur une requête interlocutoire fait l’objet d’un appel, l’appel doit être interjeté directement devant la Cour d’appel fédérale, peu importe que le juge fût ou non un juge adjoint.

Les parties peuvent également présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire pour trancher l’action sans procès. Toutefois, ces décisions sommaires demeurent rares dans le contexte des litiges en matière de brevet. Voir chapitre II, rubrique 1.5.3 « Jugement sommaire et procès sommaires ».

Au Canada, les questions d’interprétation des revendications sont généralement réservées au procès, à moins qu’elles ne soient soulevées dans le cadre d’un jugement sommaire ou d’un procès sommaire. Au contraire des États-Unis, il n’y a pas, au Canada, de procédure équivalente à une « audience de type Markman » (Markman hearing), qui traite expressément les différends d’interprétation de revendications avant le procès.

7. Procès

7.1 Procès dans le cadre d’une procédure en vertu du RMB(AC)

Comme dans les autres procédures civiles au Canada, lorsqu’une procédure en vertu du RMB(AC) se rend au procès, les éléments fondamentaux du cadre procédural régissant les procès sont respectés (voir chapitre II, rubrique 1.9 « Procès »). Le procès dans le cadre d’une procédure en vertu du RMB(AC) s’étale habituellement sur dix jours, incluant la présentation des preuves d’experts et des preuves de faits. Contrairement aux procès en matière de brevet aux États-Unis, les procédures en vertu du RMB(AC) sont toujours entendues par un juge seulement, sans possibilité de procès devant jury.

Une grande partie du temps de procès dans une procédure en vertu du RMB(AC) est dédiée à la tenue des interrogatoires principaux et des contre-interrogatoires d’experts sur les rapports soumis par ces derniers. Puisque dans une procédure en vertu du RMB(AC), les rapports d’experts se sont échangés en amont du procès, c’est au procès que les experts sont habituellement interrogés pour la première fois. Les parties procèdent aussi habituellement à l’interrogatoire de tous les témoins des faits ayant soumis des affidavits présentant des éléments de preuve.

Fait unique aux procédures en vertu du RMB(AC) au Canada, si la seconde personne a présenté une demande reconventionnelle, la première personne doit présenter et conclure la totalité de ses arguments, y compris les moyens de défense en invalidité. Cette obligation s’applique même si le fardeau de la preuve de l’invalidité incombe à la seconde personne.

Dans le cadre d’une procédure en vertu du RMB(AC), le juge doit rendre sa décision écrite dans les 24 mois de la date à laquelle la première personne a intenté son action. Le procès doit être conclu au plus tard 21 mois après la date du début de la procédure.

7.2 Dépens 

La partie qui obtient gain de cause recouvre généralement une partie des frais qu’elle a engagés pour poursuivre la cause (voir chapitre II, rubrique 1.8 « Dépens »). Il arrive souvent, dans le cadre d’une procédure en vertu du RMB(AC), que les parties contestent les dépens après le règlement des questions de contrefaçon et de validité. À l’occasion, les dépens sont calculés conformément aux droits prévus par les Règles des Cours fédérales. Toutefois, plus récemment, les tribunaux ont aussi adopté comme pratique courante l’octroi d’une somme forfaitaire correspondant à 25-50 % des honoraires juridiques, et à la totalité des débours, de la partie ayant obtenu gain de cause. 

8. Dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du RMB(AC)

Étant donné que la seconde personne est écartée du marché jusqu’à l’issue de la procédure en vertu du RMB(AC), si cette seconde personne obtient gain de cause, l’article 8 du RMB(AC) prévoit un cadre pour la compensation de la seconde personne (produit générique) pour le retard qu’elle a subi dans son entrée sur le marché (les « dommages-intérêts en vertu de l’article 8 »).

Les dommages-intérêts en vertu de l’article 8 s’appliquent généralement pour la période allant de la date à laquelle la seconde personne aurait reçu l’avis de conformité (n’eût été l’existence du RMB(AC)) jusqu’à la date à laquelle elle aurait pu entrer légalement sur le marché après la conclusion de la procédure.

Une seconde personne peut intenter une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 8 une fois que la Cour fédérale a déterminé, dans le cadre d’une procédure en vertu du RMB(AC), que le brevet de la première personne n’est pas contrefait par la seconde personne. Les dommages-intérêts visent habituellement à compenser la perte des bénéfices ou des ventes que la seconde personne aurait réalisés si elle était entrée sur le marché plus tôt. Les dommages-intérêts en vertu de l’article 8 sont calculés en fonction de l’hypothèse où le fabricant du produit générique aurait pu lancer son produit plus tôt n’eût été la suspension légale de 24 mois revendiquée dans l’action de la première personne.

9. Calendrier habituel d’une procédure en vertu du RMB(AC)


10. Liens utiles vers des bases de données publiques au Canada


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