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Loi sur la concurrence du Canada : Interdiction des accords de fixation des salaires et de non-débauchage

22 novembre 2022
Les sanctions sont considérables. Elles peuvent inclure une peine de prison maximale de 14 ans, ainsi qu’une amende sans plafond. 
Julia Potter, associée du groupe Concurrence, antitrust et investissement étranger de Blakes
Balado disponible en anglais avec retranscription en français ci-dessous.

Bien qu’il s’y prenne tard, le Canada interdira bientôt les accords de fixation des salaires et de non-débauchage entre entreprises. Dans ce plus récent épisode de notre balado, David Dueck et Julia Potter, avocats chez Blakes, nous parlent de ces nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence et de la façon dont elles pourraient exposer les parties à de graves conséquences.

Retranscription

Jordan : Bonjour, je m’appelle Jordan Virtue.

Nathan : Et je m’appelle Nathan Kanter. Bienvenue à Volume d’affaires de Blakes.

Jordan : Dans l’épisode d’aujourd’hui, nous discuterons des modifications apportées récemment à la Loi sur la concurrence du Canada qui feront de la conclusion d’accords de fixation des salaires et de non-débauchage entre employeurs une infraction criminelle.

Nathan : Pour nous en dire plus sur ces nouvelles dispositions et ce qu’elles signifient pour les entreprises, voici David Dueck et Julia Potter, avocats chez Blakes et membres de notre groupe Concurrence, antitrust et investissement étranger.

[musique]

Nathan : Julia, plusieurs entreprises s’interrogent sur les récentes modifications à la Loi sur la concurrence concernant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Julia : Bien sûr. La Loi sur la concurrence a été modifiée en juin dernier pour inclure une nouvelle infraction criminelle. Cette nouvelle disposition vient criminaliser les accords entre employeurs qui cherchent à maintenir, à réduire ou à contrôler les salaires ou d’autres conditions d’emploi, ou encore à limiter l’embauche ou la sollicitation des employés respectifs de ces employeurs. Il s’agit d’un développement assez important, d’autant plus que les dispositions relatives à la non-sollicitation et au non-débauchage sont très courantes et sont fréquemment utilisées dans les accords de non-divulgation, les conventions d’opération et les conventions de consultation, entre autres.

Comme pour les autres infractions criminelles en matière de complot prévues à la Loi sur la concurrence, ces accords entre employeurs seront assujettis à une norme d’illégalité en soi, ce qui veut dire que le comportement est illégal, peu importe s’il y a préjudice ou non à la concurrence qui pourrait résulter de ce comportement ou de l’accord.

Pour ce qui est du calendrier, bien que les modifications aient été adoptées en juin dernier, cette nouvelle disposition criminelle ne sera pas en vigueur avant le 23 juin 2023. Ce délai est censé donner aux entreprises le temps de se préparer à l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition.

Nathan : Quelles sont les répercussions en cas de non-conformité?

Julia : Comme il s’agit d’une infraction criminelle, les sanctions sont considérables. Elles peuvent inclure une peine de prison maximale de 14 ans, ainsi qu’une amende sans plafond. Les sanctions peuvent inclure aussi le paiement de dommages-intérêts si des actions collectives ou d’autres actions privées sont intentées.

Jordan : David, quels sont les problèmes auxquels les entreprises canadiennes pourraient faire face lorsqu’elles cherchent à se conformer à la loi?

David : Les nouvelles dispositions sur les accords de fixation des salaires et de non-débauchage ont une portée potentiellement très vaste compte tenu de leur libellé.

Tout d’abord, les dispositions pourraient s’appliquer à tout accord entre employeurs, même si ces derniers ne sont pas des concurrents. Ensuite, elles s’appliquent non seulement aux accords sur les salaires, mais aussi aux accords sur les modalités et conditions d’emploi.

C’est assez vague, et on peut même dire que ces dispositions pourraient s’appliquer aux accords entre employeurs sur des normes de travail minimales ou des initiatives de diversité partagée. La portée générale de cette modification est particulièrement importante compte tenu des conséquences potentielles.

Il s’agit d’une disposition criminelle qui conférera aussi un droit d’action privée aux parties lésées, y compris le droit d’intenter une action collective.

Nathan : Julia, y a-t-il des moyens de défense qui pourraient s’appliquer à ce comportement?

Julia : Il y a une défense appelée la défense fondée sur les restrictions accessoires qui s’appliquerait à l’égard de la nouvelle infraction criminelle, comme c’est le cas pour les autres dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux complots criminels. Cette défense peut être invoquée lorsque les parties à un accord sont en mesure d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la restriction — par exemple, s’il s’agit d’une disposition en matière de non-sollicitation — est accessoire à un accord plus large ou distinct qui vise les mêmes parties.

L’accord visé par cette défense doit être raisonnablement nécessaire à la réalisation de cet accord plus large ou distinct. Finalement, l’accord plus large ou distinct ne doit pas être illégal.

Jordan : David, quels sont les problèmes auxquels les parties pourraient être confrontées si elles souhaitent invoquer cette défense?

David : La défense fondée sur les restrictions accessoires peut être invoquée pour un accord qui est lié à un autre accord plus large et qui est raisonnablement nécessaire à la réalisation de cet accord, pourvu que l’accord plus large ne soit pas anticoncurrentiel en soi. Mais, bien sûr, la question clé est de savoir ce que signifie « raisonnablement nécessaire » dans une situation donnée.

Par exemple, deux parties peuvent ne pas vouloir collaborer étroitement sur un projet si elles craignent que leurs employés respectifs puissent être sollicités par l’autre partie dans le cadre de leurs interactions. Ainsi, une clause de non-sollicitation pourrait alors être raisonnablement nécessaire pour que cette collaboration ait lieu. Mais cela ne sera pas toujours clair, et la défense fondée sur les restrictions accessoires n’a jamais fait l’objet d’un examen judiciaire.

Nathan : Julia, est-ce que d’autres lignes directrices seront fournies?

Julia : Comme David l’a mentionné, le commissaire de la concurrence a confirmé que le Bureau de la concurrence, qui est l’organisme gouvernemental chargé de l’application de la Loi sur la concurrence, a l’intention de fournir des lignes directrices distinctes qui jetteront la lumière sur la façon dont le Bureau prévoit appliquer cette nouvelle disposition sur la fixation des salaires et le non-débauchage.

Aucun calendrier n’a été établi pour la publication de ces lignes directrices, mais elles devraient être publiées avant l’entrée en vigueur de la disposition en juin de l’année prochaine.

Ces lignes directrices seront très utiles pour aider les entreprises à comprendre comment le Bureau de la concurrence peut interpréter et choisir d’appliquer la nouvelle disposition, mais il faut tenir compte du fait que ces lignes directrices n’auront pas force de loi.

Nathan : Pouvez-vous nous faire part des mesures que les entreprises devraient prendre pour éviter les sanctions?

Julia : Si vous avez des ententes qui seront toujours en vigueur à compter du 23 juin 2023 et que ces ententes comportent des dispositions sur les salaires ou d’autres conditions d’emploi ou pourraient comporter des dispositions en matière de non-sollicitation ou de non-débauchage, elles devront être passées en revue à la lumière de la nouvelle infraction criminelle et, idéalement, des lignes directrices attendues du Bureau de la concurrence. Il faudra procéder à l’examen des accords préexistants qui restent en vigueur, ainsi que des accords nouvellement conclus et à venir.

La défense fondée sur les restrictions accessoires devra être prise en considération au cas par cas pour déterminer si une disposition ou un accord contrevient à la Loi sur la concurrence. Si vous êtes d’avis que ce serait le cas, quelques options s’offrent à vous.

Une option consiste à résilier l’accord. Une autre option consiste à renégocier l’accord ou la modalité particulière concernée, par exemple, en limitant la portée ou la durée d’une disposition de non-sollicitation afin que ce soit plus clair pour que la défense fondée sur les restrictions accessoires puisse être invoquée. Et si vous avez affaire à une partie qui n’est pas disposée à résilier ou à renégocier un accord, vous pouvez aussi l’aviser officiellement que vous estimez que l’accord ou la disposition en question n’est pas conforme à la Loi sur la concurrence et que vous ne l’appliquerez plus.

Jordan : David, y a-t-il d’autres modifications à la Loi sur la concurrence qui pourraient être pertinentes pour les entreprises?

David : Je pense qu’il y a quatre autres modifications qui méritent d’être soulignées.

Premièrement, les parties peuvent maintenant intenter des actions privées pour abus présumé de position dominante. Les dispositions sur l’abus de position dominante peuvent s’appliquer lorsqu’un intervenant dominant dans un secteur se livre à des pratiques anticoncurrentielles qui visent ses concurrents ou qui ont pour but de nuire à la concurrence. Auparavant, seul le commissaire de la concurrence pouvait porter ces affaires devant le tribunal, mais les parties privées peuvent désormais le faire également.

La deuxième modification majeure est que des amendes beaucoup plus élevées ont été annoncées pour certains comportements en vertu de la loi. Il n’existe plus de plafond pour les amendes imposées pour des infractions criminelles. De plus, les amendes possibles pour l’abus de position dominante et les pratiques commerciales trompeuses ont augmenté considérablement. Auparavant, l’amende maximale était de 10 M$ CA pour une première infraction et de 15 M$ CA pour des infractions subséquentes, mais maintenant elles peuvent atteindre trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement anticoncurrentiel, ou si cela ne peut pas être déterminé, jusqu’à 3 % des recettes globales annuelles.

Le troisième changement majeur est qu’il existe maintenant des dispositions criminelles et civiles précises relativement à la pratique d’affichage de prix partiel. Il s’agit d’une pratique selon laquelle le prix affiché n’est pas atteignable en raison de frais obligatoires fixes qui s’y ajoutent. Par exemple, vous souhaitez acheter quelque chose sur un site Web au prix qui y est affiché, mais après avoir atteint la page de paiement et saisi tous les renseignements relatifs à votre carte de crédit, vous constatez pour la première fois qu’un ensemble de nouveaux frais s’est greffé à la facture. Ce type de comportement peut constituer une publicité fausse ou trompeuse.

Enfin, il existe désormais une nouvelle règle anti-évitement relativement aux préavis de fusion. Cette règle s’applique lorsqu’une opération est structurée uniquement pour éviter le processus de préavis de fusion. La nouvelle règle prévoit que dans de tels cas, un préavis de fusion sera tout de même requis.

[musique]

Jordan : David et Julia, merci de vous être joints à nous aujourd’hui. Vous avez certainement donné beaucoup de matière à réflexion aux employeurs.

Nathan : Les auditeurs qui souhaitent en savoir davantage sur notre groupe Concurrence, antitrust et investissement étranger, ou encore sur notre balado, peuvent consulter blakes.com.

Jordan : D’ici la prochaine fois, prenez soin de vous.

À propos du balado Volume d’affaires de Blakes

Notre balado Volume d’affaires (anciennement Continuité) se penche sur les répercussions que peut avoir l’évolution du cadre juridique canadien sur les entreprises, et ce, dans notre réalité « post-COVID-19 » et dans l’avenir. Des avocates et avocats de tous nos bureaux discutent des défis, des risques, des occasions, des développements juridiques et des politiques gouvernementales dont vous devriez avoir connaissance. Nous abordons par ailleurs divers sujets qui vous importent et qui sont liés à la responsabilité sociale, comme la diversité et l’inclusion.

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