Le 24 juillet 2020, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a publié sa décision dans l’affaire Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock (« Babstock »). Dans sa première déclaration définitive sur cette question, la CSC a statué que la doctrine de la « renonciation au recours délictuel » (ou « waiver of tort ») ne constitue pas une cause d’action indépendante en common law canadienne, ce qui met un terme au débat qui existait depuis longtemps dans la jurisprudence canadienne sur ce sujet. Dans cette décision clé, les juges majoritaires de la CSC ont jugé que la doctrine de la renonciation au recours délictuel n’est pas une cause d’action indépendante en droit canadien et que le terme lui-même prête à confusion et devrait donc être abandonné. La CSC a accueilli les pourvois de la défenderesse, la Société des loteries de l’Atlantique (la « SLA »), en appel des décisions des tribunaux d’instance inférieure, annulant l’ordonnance autorisant l’exercice de l’action collective et radiant la déclaration des demandeurs.
CONTEXTE
Les demandeurs dans l’affaire Babstock ont présenté une demande d’autorisation d’une action collective contre la société de loteries défenderesse en alléguant que l’exploitation d’appareils de loterie vidéo par la SLA est intrinsèquement dangereuse et trompeuse. Les demandeurs s’appuyaient sur trois causes d’action : la renonciation au recours délictuel, la violation de contrat et l’enrichissement sans cause. Une des principales questions dans cette affaire découlait du recours à la doctrine de la renonciation au recours délictuel par les demandeurs, lequel, selon eux, leur permettait de « renoncer » au délit de négligence afin de réclamer les gains réalisés par la défenderesse plutôt que les dommages subis par les demandeurs.
La SLA a demandé de faire radier l’action des demandeurs au motif que celle-ci ne révélait aucune cause d’action raisonnable ainsi que l’autorisation des demandeurs d’exercer leur action à titre d’action collective. Les demandeurs s’étaient fondés sur la renonciation au recours délictuel en tant que cause d’action indépendante qui leur aurait permis de réclamer une réparation fondée sur les gains réalisés par la SLA [traduction] « lesquels seront établis lors du procès sur les questions communes sans nécessiter la participation des membres du groupe » et avaient fait valoir que leur demande à cet égard avait une chance au moins raisonnable d’être accueillie au procès.
La Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a rejeté la demande de la SLA de faire radier l’action des demandeurs et a conclu en outre que les demandeurs avaient satisfait aux conditions nécessaires à l’autorisation de l’action collective. Plus particulièrement, et parce que les demandeurs entendaient solliciter une réparation collective (calculée en fonction des profits réalisés par la défenderesse) sans avoir à prouver le préjudice individuel qu’aurait subi chaque membre, le juge d’autorisation a conclu qu’il était préférable que certaines des questions communes aux membres du groupe soient tranchées dans le cadre d’une action collective. La Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a par la suite confirmé les conclusions du juge d’autorisation et a permis l’instruction des demandes fondées sur la renonciation au recours délictuel, la violation de contrat et l’enrichissement sans cause présentées par les demandeurs.
Aucun tribunal canadien n’avait reconnu de façon affirmative l’existence d’une cause d’action fondée sur la doctrine de la renonciation au recours délictuel, bien que les demandeurs aient invoqué une série de décisions en matière d’autorisation d’action collective dans lesquelles les tribunaux canadiens — y compris la CSC — s’étaient abstenus de conclure qu’il est évident et manifeste qu’une telle cause d’action n’existe pas. La SLA a porté la décision en appel à la CSC.
LA DÉCISION DE LA CSC
En appel, les juges majoritaires de la CSC ont tranché que les demandeurs ne peuvent invoquer la doctrine de la renonciation au recours délictuel en tant que cause d’action indépendante en restitution des gains illicites réalisés par la défenderesse et a confirmé que cette nouvelle cause d’action alléguée n’existe pas en droit canadien et n’a aucune chance raisonnable d’être accueillie au procès.
Le juge Brown, au nom des juges majoritaires, a déclaré que le droit au Canada a évolué au cours des dernières années de telle sorte que la CSC peut maintenant résoudre la question en suspens quant au statut de la renonciation au recours délictuel en tant que cause d’action indépendante. Il a expliqué que la restitution pour enrichissement sans cause et la restitution des gains illicites pour cause d’acte fautif sont deux types de réparations fondées sur les gains réalisés. Chaque notion est distincte de l’autre : la restitution des gains illicites exige seulement que le défendeur ait obtenu un avantage (sans qu’il soit nécessaire de prouver que le demandeur a subi un appauvrissement), alors que la restitution est accordée en réponse à l’élément causal d’un enrichissement sans cause, lorsque le gain réalisé par le défendeur correspond à l’appauvrissement subi par le demandeur. En l’espèce, les demandeurs sollicitaient la restitution des gains illicites (disgorgement), non la restitution (restitution), affirmant avoir droit à une réparation calculée exclusivement en fonction des gains réalisés par la SLA, sans égard au préjudice que l’un ou l’autre d’entre eux a pu subir. Toutefois, la restitution des gains illicites, à titre de réparation fondée sur les gains réalisés, est exactement cela : une réparation, accordée dans certaines circonstances lorsque le demandeur satisfait à tous les éléments constitutifs d’une ou de plusieurs causes d’action différentes (plus précisément, la violation d’une obligation en responsabilité délictuelle ou contractuelle ou en equity).
Le juge Brown a par la suite expliqué que la restitution des gains illicites devrait être considérée comme une réparation subsidiaire pour certaines formes de conduite fautive, non comme une cause d’action indépendante. Bien que la restitution des gains illicites soit possible pour certaines formes d’actes fautifs sans qu’il soit nécessaire de prouver le préjudice (par exemple, en cas de manquement à une obligation fiduciaire), il est difficile de conclure que la restitution des gains illicites sans preuve de préjudice est disponible de façon générale en cas de conduite négligente du défendeur. Accorder la restitution des gains illicites pour cause de négligence sans preuve de préjudice donnerait lieu à une réparation « issue d’un néant juridique » et ce serait là un changement radical tout à fait nouveau. Ce n’est pas le type de changement progressif qui relève de la compétence des tribunaux appliquant la common law.
La CSC a fait remarquer que, comme le démontre cette affaire, le terme « renonciation au recours délictuel » prête à confusion et devrait donc être abandonné. En outre, dans le même ordre d’idée, pour établir le bien‑fondé d’une demande en restitution des gains illicites, le demandeur doit d’abord établir l’inconduite donnant ouverture à l’action.
RÉPERCUSSIONS POUR LES ACTIONS COLLECTIVES
Dans l’arrêt Babstock, la CSC a, pour la première fois, définitivement déclaré que la renonciation à un recours délictuel n’est pas une cause d’action indépendante. Les demandeurs ne devraient donc plus être en mesure de plaider la renonciation au recours délictuel dans leurs demandes ni chercher à obtenir une autorisation d’action collective à partir d’un « néant juridique » étant donné que cette doctrine juridique, au statut auparavant incertain, est maintenant abandonnée.
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