Récemment, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont publié un avis de consultation à l’égard du projet de Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques (le « projet de règlement ») et de l’instruction générale y afférente (le « projet d’instruction »), lesquels imposeraient des obligations d’information sur les questions climatiques à la plupart des sociétés ouvertes au Canada. Comme il est indiqué dans le présent bulletin, le cadre proposé par les ACVM reprend en grande partie les normes d’information établies par le Groupe de travail sur la divulgation de l’information financière relative aux changements climatiques (le « cadre du GIFCC »), mais comporte quelques différences notables, qui sont décrites ci-après. L’approche adoptée par les ACVM démontre néanmoins l’appui de ces dernières envers la mise en place de normes contraignantes en matière d’information liée au changement climatique. Elle témoigne également des efforts déployés par les ACVM pour répondre à la fois aux préoccupations des investisseurs, qui veulent avoir accès à de l’information uniforme, comparable et utile à la prise de décision, et à celles des émetteurs concernant le fardeau de la conformité à ces obligations d’information.
CONTEXTE
Ces dernières années, les investisseurs et d’autres parties prenantes ici et ailleurs dans le monde ont accordé davantage d’attention aux risques climatiques auxquels peuvent être exposés les émetteurs. Leur intérêt accru à ce chapitre a donné lieu à la création d’une série de lignes directrices volontaires destinées à guider les émetteurs disposés à divulguer de l’information liée au changement climatique. Le cadre du GIFCC mis sur pied par le Conseil de stabilité financière et les recommandations formulées par la Global Reporting Initiative (la « GRI ») et le Sustainability Accounting Standards Board (le « SASB ») en sont de bons exemples. Quoi qu’il en soit, de nombreux émetteurs ont pris en compte les préoccupations des parties prenantes et ont intégré à leurs documents d’information continue l’information relative aux principaux risques que comportent les changements climatiques pour leurs activités, les occasions que suscitent ces derniers et les conséquences possibles de ceux-ci, dans, le plus souvent en publiant un rapport distinct sur la durabilité ou un sujet similaire sur leur site Web.
Cependant, comme une seule norme d’information ne semble pas encore s’imposer, le contenu des rapports diffère d’un émetteur à l’autre. Certains ont choisi de suivre le cadre du GIFCC, alors que d’autres ont souscrit aux recommandations de la GRI ou du SASB. Les investisseurs – surtout institutionnels – réclament donc, à présent, que l’information liée au changement climatique présentée dans ces rapports soit plus uniforme, transparente et comparable. En novembre 2020, les chefs de la direction des huit principaux gestionnaires de placements de régimes de retraite au Canada ont notamment publié une déclaration dans laquelle ils demandent aux émetteurs de renforcer et de normaliser leurs pratiques relatives à la divulgation des données environnementales, sociales et de gouvernance (« ESG »).
Le projet de règlement a pour but de répondre aux préoccupations des parties prenantes en proposant un cadre unique, fondé principalement sur celui du GIFCC, en fonction duquel l’information liée au changement climatique divulguée par les sociétés ouvertes pourra être évaluée. Le fait que les ACVM aient décidé de s’appuyer sur le cadre du GIFCC pour créer le projet de règlement donne à penser que ce sera, selon elle, le modèle retenu à l’échelle internationale relativement à la communication de l’information liée au changement climatique. Le Royaume-Uni, l’Union européenne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Suisse ont adopté, ou entrepris des démarches en vue d’adopter, des normes de divulgation qui sont identiques ou similaires à celles du GIFCC. De son côté, la Securities and Exchange Commission (la « SEC ») des États-Unis a récemment fait savoir qu’elle songeait elle aussi à régir la présentation de l’information liée au changement climatique. Du reste, le fait que les ACVM aient choisi de s’appuyer sur le cadre du GIFCC pour établir les obligations d’information liée au changement climatique qu’elles entendent imposer aux émetteurs est cohérent avec le soutien qu’elles ont exprimé envers l’International Sustainability Standards Board (l’« ISSB ») et avec la proposition du Canada d’accueillir le siège social du ISSB sur son territoire.
RÉSUMÉ DU PROJET DE RÈGLEMENT
Mise en application
À l’instar des lignes directrices portant sur la communication de l’information liée aux pratiques en matière de gouvernance énoncées dans le Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance et le Règlement 52-110 sur le comité d’audit, le projet de règlement vise l’ensemble des sociétés ouvertes, sauf les fonds d’investissement, les émetteurs de titres adossés à des actifs, les émetteurs étrangers visés, les émetteurs étrangers inscrits auprès de la SEC, certains émetteurs de titres échangeables, certains émetteurs bénéficiant de soutien au crédit, et certaines filiales d’autres sociétés ouvertes.
Exigences relatives à la divulgation
Tout comme le cadre du GIFCC, le projet de règlement s’articule autour de quatre grands thèmes pour ce qui est de la présentation de l’information liée au changement climatique : (i) la gouvernance; (ii) la stratégie; (iii) la gestion des risques; et (iv) les mesures et les cibles. Selon les ACVM, l’information liée au changement climatique divulguée était souvent « passe-partout, vague ou incomplète » jusqu’à maintenant. Ces quatre grands thèmes forceraient donc les émetteurs à fournir des renseignements clairs, pertinents et spécifiques à leurs activités sur ce front.
Plus particulièrement, les sociétés ouvertes visées par le projet de règlement seront tenues de décrire ce qui suit :
Gouvernance
- la surveillance des risques et des occasions liés au changement climatique exercée par le conseil d’administration;
- le rôle de la direction dans l’évaluation et la gestion des risques et des occasions liés au changement climatique;
Stratégie
- les risques et les occasions à court, moyen et long termes liés au changement climatique que l’émetteur a relevés, si cette information est importante;
- les répercussions des risques et des occasions liés au changement climatique sur les activités, la stratégie et la planification financière de l’émetteur si cette information est importante;
Gestion des risques
- les processus appliqués par l’émetteur pour déterminer et évaluer les risques liés au changement climatique;
- les processus appliqués par l’émetteur pour gérer les risques liés au changement climatique;
- la manière dont les processus appliqués pour déterminer, évaluer et gérer les risques liés au changement climatique sont intégrés à la gestion globale des risques de l’émetteur;
Mesures et cibles
- les mesures utilisées par l’émetteur pour évaluer les risques et les occasions liés au changement climatique en conformité avec sa stratégie et son processus de gestion des risques, si cette information est importante;
- les cibles utilisées par l’émetteur pour gérer les risques et les occasions liés au changement climatique et sa performance par rapport à ces cibles, si cette information est importante.
Selon le libellé actuel, le projet de règlement exige également des émetteurs qu’ils déclarent leurs émissions de gaz à effet de serre (« GES ») relevant du champ d’application 1 (toutes les émissions directes de GES d’un émetteur); du champ d’application 2 (toutes les émissions indirectes de GES résultant de la consommation d’électricité, de chaleur ou de vapeur achetée par un émetteur); et du champ d’application 3 (toute autre émission indirecte de GES d’un émetteur, sauf celles visées à la définition de l’expression « champ d’application 2 »), ainsi que les risques connexes, ou qu’ils expliquent les motifs pour lesquels ils ne les déclarent pas. L’émetteur qui choisira de ne déclarer aucune information sur les émissions de GES pourra faire part de ses motifs pour l’ensemble des émissions de GES, plutôt que pour chacun des champs d’application séparément.
Les ACVM notent toutefois qu’elles évaluent une autre possibilité en ce qui a trait à la section sur les mesures et les cibles du projet de règlement, une qui obligerait les émetteurs à déclarer leurs émissions de GES relevant du champ d’application 1, mais pas leurs émissions de GES relevant des champs d’application 2 et 3, pour lesquelles les émetteurs auraient le choix de les déclarer ou d’expliquer pourquoi ils ne le font pas.
Les sociétés ouvertes concernées seront par ailleurs tenues d’indiquer la méthode qu’elles auront suivie pour calculer et déclarer leurs émissions de GES, laquelle doit correspondre au Protocole des gaz à effet de serre (le « Protocole des GES ») élaboré par le World Resources Institute et le World Business Council for Sustainable Development ou une norme de déclaration comparable au Protocole des GES.
Entrée en vigueur
L’entrée en vigueur du projet de règlement sera graduelle, c’est-à-dire qu’il prévoit des périodes de transition vers les obligations d’information d’un an pour les émetteurs non émergents et de trois ans pour les émetteurs émergents. Par exemple, si le projet de règlement entre en vigueur le 31 décembre 2022 – laquelle correspond à la date la plus proche à laquelle les ACVM pensent que le règlement pourrait prendre effet – un émetteur dont l’exercice se termine le 31 décembre devra donc se conformer aux exigences du projet de règlement dans ses rapports annuels devant être déposés en 2024, dans le cas des émetteurs non émergents, et en 2026, dans le cas des émetteurs émergents.
Documents d’information continue applicables
Les sociétés ouvertes seront tenues d’inclure l’information exigée dans la section « Gouvernance » du projet de règlement dans la circulaire de sollicitation de procurations par la direction qu’elles envoient à leurs porteurs de titres en vue de l’élection des membres de leur conseil d’administration, le cas échéant; et l’information exigée aux sections « Stratégie », « Gestion des risques » et « Mesures et cibles » dans leur notice annuelle (de même que l’information exigée à la section « Gouvernance », si elles n’envoient pas de circulaire de sollicitation de procurations par la direction à leurs porteurs de titres). Si elles ne déposent pas de notice annuelle, les sociétés ouvertes concernées (y compris les émetteurs émergents) devront inclure l’information exigée dans les différentes sections dans leur rapport de gestion.
Principales dispositions et répercussions du projet de règlement
- Absence de l’obligation de présenter une analyse par scénario : Le cadre du GIFCC recommande que les sociétés concernées incluent dans leurs documents d’information une évaluation de la résilience de leurs plans stratégiques en fonction de différents scénarios climatiques, y compris le scénario de 2 oC. Les ACVM ont choisi de ne pas suivre cette recommandation. Elles seraient en fait sensibles aux préoccupations soulevées d’une part, par les investisseurs, qui affirment que la grande variété d’hypothèses éventuellement étudiées dans ce genre d’analyse risque d’altérer leur capacité à comparer l’information divulguée, et, d’autre part, par les émetteurs, qui appréhendent les coûts importants généralement associés à la préparation de telles analyses.
- Application d’un critère d’importance relative à certaines exigences : Les ACVM ont choisi d’appliquer un critère d’importance relative aux sections « Stratégie » et « Mesures et cibles » établies dans le projet de règlement; les émetteurs seront ainsi tenus de fournir de l’information dans ces sections seulement si cette information est importante (c’est notamment le cas lorsque la décision d’un investisseur raisonnable à l’égard de l’achat, de la vente ou de la conservation des titres d’une société donnée pourrait être influencée ou modifiée par le fait que la société ait omis de divulguer de l’information dans ces sections ou y fait de fausses déclarations). Il convient de noter, en revanche, que toutes les sociétés ouvertes visées par le projet de règlement seront tenues de présenter de l’information dans les sections « Gouvernance » et « Gestion des risques », puisque ces sections ne sont pas soumises au critère d’importance relative.
- Respect des obligations d’information concernant la communication de l’information sur les émissions de GES ou explication : Contrairement au cadre du GIFCC, qui recommande que les sociétés concernées déclarent leurs émissions de GES relevant des champs d’application 1, 2 et, s’il y a lieu, 3, le projet de règlement prévoit que les émetteurs devront déclarer de l’information sur leurs émissions de GES ou, sinon, justifier leur choix de ne pas le faire. Il convient de noter que les ACVM envisagent toutefois d’obliger les émetteurs à déclarer leurs émissions de GES relevant du champ d’application 1, mais les obligations établies par les ACVM pourraient être plus souples que celles recommandées dans le cadre du GIFCC.
- Conséquences pour les émetteurs privés étrangers : Comme il a été mentionné précédemment, le projet de règlement ne s’applique pas aux émetteurs étrangers inscrits auprès de la SEC. Cependant, les sociétés ouvertes canadiennes admissibles à titre d’émetteurs privés étrangers (foreign private issuers) en vertu des lois américaines applicables y seront assujetties. Par conséquent, si la SEC venait à imposer des obligations d’information lié au changement climatique, les émetteurs privés étrangers pourraient devoir se conformer à la fois aux règles adoptées par la SEC et à celles établies par les ACVM, lesquelles ne seront par ailleurs pas nécessairement identiques; à moins que la SEC ou les ACVM ne leur accordent une exemption.
- Élargissement possible de la responsabilité quant à l’information sur le marché secondaire : Les ACVM ont observé une augmentation du nombre de sociétés ouvertes qui fournissent de l’information liée au changement climatique dans des documents d’information volontaires, tels que les rapports sur les facteurs ESG. En exigeant des émetteurs qu’ils présentent cette information dans leurs documents d’information continue obligatoires, les ACVM élargissent effectivement la portée de la responsabilité des émetteurs quant à l’information sur le marché secondaire. Il est important que ce fait soit bien compris par les sociétés ouvertes, car au moment de déposer un prospectus simplifié, le cas échéant, ces documents d’information continue et, du coup, l’information liée au changement climatique qu’ils contiennent, seront intégrés par renvoi au prospectus en question.
- Utilisation d’information prospective : Les émetteurs qui se conformeront aux obligations d’information liée au changement climatique prévues dans le projet de règlement publieront immanquablement de l’information prospective. Pour pouvoir se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue dans les lois sur les valeurs mobilières applicables, les sociétés ouvertes devraient veiller à communiquer de l’information prospective que si elles ont un fondement valable pour l’établir et à ce que la déclaration incluse dans leurs documents d’information continue relativement à l’information prospective soit révisée en conséquence.
- Délais à respecter par certaines sociétés ouvertes déjà assujetties à des obligations d’information sur les émissions de GES : Certaines sociétés ouvertes sont déjà tenues de déclarer leurs émissions de GES en vertu de lois fédérales et provinciales existantes, notamment dans le cadre du Programme fédéral de déclaration des gaz à effet de serre. Les sociétés devant présenter de l’information à la fois en vertu de ces lois et aux termes du projet de règlement pourraient avoir du mal à respecter les dates limites qui y sont fixées pour la publication de l’information, lesquelles sont échelonnées. Par exemple, les sociétés ouvertes dont l’exercice se termine le 31 décembre sont généralement tenues de déposer leurs documents d’information continue annuels (dans lesquels elles devront divulguer de l’information sur les risques climatiques auxquels elles sont exposées aux termes du projet de règlement) au cours du premier trimestre de l’exercice suivant. Or, dans le cadre du Programme de déclaration des gaz à effet de serre, elles sont tenues de présenter l’information exigée au plus tard le 1er juin, ce qui correspond aussi à la date d’échéance actuellement prévue sous d’autres régimes provinciaux similaires.
CONCLUSION
En établissant un cadre unique, fondé sur le cadre du GIFCC, les ACVM cherchent à accroître l’uniformité et la comparabilité de l’information liée au changement climatique divulguée par les sociétés ouvertes au Canada, d’une manière qui répond aux préoccupations du milieu des affaires, des investisseurs et d’autres parties prenantes. Les émetteurs devront satisfaire les obligations d’information que leur imposera le règlement que les risques associés au changement climatique soient importants ou non pour la continuité de leurs activités; toutes les sociétés ouvertes concernées devraient donc prendre connaissance du projet de règlement, peu importe leurs secteurs d’activités.
La période de consultation du projet de règlement se termine le 17 janvier 2022.
Pour en savoir davantage, communiquer avec :
Pascal de Guise 514-982-4119
Jeff Bakker 403-260-9682
Michael Barrett 403-260-9621
Dufferin Harper 403-260-9710
Olga Kary 403-260-9644
Kathleen Keilty 604-631-3318
Matthew Merkley 416-863-3328
ou un membre de nos groupes Marchés des capitaux ou Environnement.
Ressources connexes
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