En 2020, plusieurs décisions judiciaires d’importance pour les prêteurs commerciaux, les entreprises et les professionnels de l’insolvabilité ont été rendues d’un bout à l’autre du Canada. Le présent bulletin résume les grandes questions abordées dans chacune de ces affaires et fournit une mise à jour sur les affaires dont il a été question dans notre Bulletin Blakes de février 2020 intitulé Principaux développements dans la jurisprudence canadienne en matière d’insolvabilité en 2019.
QUALIFICATION ET TRAITEMENT DES CONTRATS FINANCIERS ADMISSIBLES
Bellatrix Exploration Ltd. (Action No. 1901-13767)
Date de la décision : 4 février 2020
Bellatrix Exploration Ltd. (« Bellatrix ») s’était placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Canada) (la « LACC »). Au moment du dépôt de sa demande aux termes de la LACC, Bellatrix était partie à des contrats conclus avec un producteur énergétique (le « PE ») en vue de l’achat et de la vente de gaz naturel (le « contrat »). Bellatrix cherchait à résilier le contrat et à cesser la livraison de gaz naturel au PE.
Selon le PE, le préavis de résiliation donné par Bellatrix était invalide puisque le contrat était un contrat financier admissible (un « CFA ») aux fins de la LACC. En vertu du paragraphe 32(9) de la LACC, une société débitrice n’a pas le droit de résilier des contrats qui sont des CFA. Or, suivant le libellé du contrat, les parties reconnaissaient expressément que le contrat était un CFA.
Aux termes d’un règlement promulgué en vertu de la LACC, un contrat sera considéré comme étant un CFA lorsqu’il s’agit de ce qui suit :
- un contrat financier;
- un contrat financier qui est un contrat dérivé;
- un contrat dérivé qui est réglé par paiement ou livraison et qui :
- soit se négocie sur un marché ou une bourse de contrats d’option ou de contrats à terme ou sur tout autre marché réglementé;
- soit fait l’objet de transactions récurrentes sur les marchés de dérivés ou sur les marchés hors cote de titres ou de matières premières.
En plus d’avancer qu’il était incorrect de qualifier le contrat de CFA, Bellatrix a fait valoir que la cour devait appliquer le critère des « résultats équitables » pour déclarer que même si, de par sa forme, le contrat est un CFA, elle refuserait de le qualifier ainsi si cela devait produire des résultats inéquitables.
La cour a statué que le principe de l’équité peut faire partie de l’analyse servant à répondre à la question déterminante, à savoir si le contrat en cause correspond à la définition d’un CFA. Par conséquent, la cour a conclu qu’elle jouissait d’une certaine latitude lorsque la question de la qualification était en jeu et que cette qualification avait une incidence sur sa capacité de réaliser l’objet de la LACC et les buts visés par celle-ci. Toutefois, la cour a fait une distinction entre cette approche et la proposition mise de l’avant par Bellatrix selon laquelle la cour pourrait déclarer, en invoquant le principe de l’équité, qu’un contrat qui répond manifestement à la définition d’un CFA n’en est pas un. La cour a également noté qu’il est problématique de suggérer qu’elle devrait avoir la possibilité de substituer sa version de l’équité à celle reflétée par la décision du Parlement de prévoir une exception à la résiliation des CFA au paragraphe 32(9) de la LACC. La cour a rejeté l’argument de Bellatrix, déclarant que le fait de refuser qu’un contrat qui remplit les critères propres à un CFA soit appelé un CFA reviendrait à permettre à la cour de réécrire le contrat.
La cour a jugé que le contrat était à la fois un contrat financier et un contrat dérivé qui devrait être considéré comme un CFA et donc être à l’abri d’une résiliation.
Statut
La demande d'autorisation d'appel de cette décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a été accueillie le 1er mai 2020. L’appel a été entendu par la Cour d’appel de l’Alberta le 22 octobre 2020. À l’heure actuelle, aucune décision n’a été rendue.
Points à retenir
Sous réserve de la décision qui sera rendue en appel, lorsqu’un contrat répond clairement à la définition d’un CFA, un tribunal n’a pas le pouvoir de qualifier le contrat autrement afin d’en permettre la résiliation en invoquant le principe de l’équité.
CRÉANCES HYPOTHÉCAIRES : PRIORITÉ DES AVANCES EN SUS DE LA VALEUR NOMINALE DU CAPITAL D'UN PRÊT HYPOTHÉCAIRE
Forjay Management Ltd. v 625536 BC Ltd., 2020 BCCA 70
Date de la décision : 27 février 2020
Dans le cadre d’une mise sous séquestre initiée relativement à l’échec d’un projet d’aménagement immobilier résidentiel, un différend est survenu entre de multiples créanciers hypothécaires quant à l’utilisation du produit réalisé. Selon les créanciers hypothécaires de premier rang et de deuxième rang, tous les fonds qu’ils avaient avancés à l’emprunteur étaient garantis par leurs hypothèques en priorité par rapport aux sommes avancées par un créancier hypothécaire de troisième rang. Le créancier hypothécaire de troisième rang soutenait pour sa part que les sommes avancées par les créanciers hypothécaires de rangs antérieurs en sus de la valeur nominale de leurs hypothèques respectives n’étaient pas garanties par les hypothèques de premier rang et de deuxième rang et que, par conséquent, le créancier hypothécaire de troisième rang pouvait faire valoir des réclamations à l’égard du produit réalisé. La valeur nominale d’une hypothèque est le capital de l’hypothèque qui est indiqué sur le formulaire de l’hypothèque enregistrée.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») a confirmé la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, statuant que les avances consenties par les créanciers hypothécaires de premier rang et de deuxième rang en sus de la valeur nominale d’une hypothèque enregistrée étaient garanties et prenaient rang avant la créance du créancier hypothécaire de troisième rang.
Pour arriver à cette conclusion, la CACB a tenu compte du principe de la « jonction de possessions » issu de la common law, et s’est demandée si l’obligation d’un emprunteur de rembourser l’argent avancé aux termes d’une première hypothèque après qu’une hypothèque subséquente a été enregistrée a priorité sur cette hypothèque subséquente. La CACB a conclu que lorsque les créanciers hypothécaires ont conclu un accord au sujet de l’ordre de priorité, comme c’était le cas entre les créanciers de deuxième rang et de troisième rang, cet accord régit l’ordre de priorité des avances. L’une des modalités de l’hypothèque de deuxième rang prévoyait que le créancier de troisième rang subordonnerait son prêt aux avances effectuées aux termes de l’hypothèque de deuxième rang et un accord relatif à l’ordre de priorité en ce sens a été enregistré le jour même de la conclusion de l’hypothèque de deuxième rang.
Aucun accord relatif à l’ordre de priorité n’existait entre le créancier hypothécaire de premier rang et le créancier hypothécaire de troisième rang. Toutefois, la CACB a déclaré que même en l’absence d’un accord de priorité, un créancier hypothécaire de premier rang peut procéder à la jonction de possessions lorsqu’il n’a pas reçu d’avis en la forme prescrite quant à l’existence d’une hypothèque subséquente. Dans de telles circonstances, les sommes avancées en sus de la valeur nominale de l’hypothèque continuent d’être garanties. La forme de l’avis requis est régie par le paragraphe 28(2) de la Property Law Act (Colombie-Britannique) selon lequel le créancier hypothécaire subséquent doit donner un avis écrit formel. Un simple avis ne suffit pas.
Le créancier hypothécaire de premier rang avait été avisé de l’existence de l’hypothèque de troisième rang et savait que celle-ci avait été enregistrée sur le titre de propriété. Cet avis avait été donné sous la forme d’une simple mention de l’hypothèque de troisième rang dans un courriel aux conseillers juridiques du créancier hypothécaire de premier rang. La CACB a statué que cet avis n’était pas suffisant pour constituer un avis conforme à celui exigé par la Property Law Act (Colombie-Britannique).
Par conséquent, il a été déterminé que le créancier hypothécaire de premier rang n’avait pas reçu d’avis aux fins de la jonction des possessions, que le montant intégral de l’hypothèque de premier rang, y compris les avances en sus du montant déclaré et enregistré, était valide et que l’obligation de l’emprunteur de rembourser ces sommes prenait rang avant les obligations garanties par l’hypothèque de troisième rang.
Statut
La demande d’autorisation d’appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a été rejetée le 1er octobre 2020. Cette décision est maintenant finale.
Points à retenir
En Colombie-Britannique, lorsqu’un créancier hypothécaire subséquent souhaite limiter le montant des créances prenant rang avant la sienne, il doit donner un avis écrit formel de l’existence de son hypothèque aux créanciers hypothécaires de rangs antérieurs conformément aux exigences de la Property Law Act (Colombie-Britannique).
EFFETS DES DISPOSITIONS RELATIVES AU PRIVILÈGE DE LA CONSTRUCTION PRÉVU PAR LA LOI DANS LE CADRE DE PROCÉDURES D'INSOLVABILITÉ
Urbancorp Cumberland 2 GP Inc. (Re) (2020), 2020 ONCA 197
Date de la décision : 11 mars 2020
La Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») s’est penchée sur la portée et l’effet pratique du paragraphe 9(1) de la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction (Ontario) (la « LPIC »), lequel constitue un fonds en fiducie pour le produit de la vente d’un immeuble pour le bénéfice des entrepreneurs impayés du secteur de la construction qui ont ajouté de la valeur à cet immeuble en y effectuant des travaux et en fournissant des matériaux connexes. La LPIC a été remplacée par la Loi sur la construction (Ontario); cependant, à l’époque, c’est la LPIC qui s’appliquait.
Dans cette affaire, un promoteur d’habitations en copropriété avait déposé un avis d’intention de faire une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») et avait ensuite continué sa procédure de proposition sous le régime de la LACC. Les unités invendues dans un projet d’habitations en copropriété que le promoteur avait fait construire faisaient partie de son actif et avaient été vendues au cours de la procédure sous le régime de la LACC. Aux termes d’une ordonnance de la CAO élargissant les pouvoirs conférés par la loi au contrôleur, des conventions de vente avaient été conclues par le contrôleur nommé par le tribunal et le produit de la vente avait été versé directement au contrôleur. Les entrepreneurs impayés appelants avaient fournis des travaux et des matériaux à l’égard des unités invendues et des sommes importantes leur étaient dues. Les appelants ont fait valoir qu’en vertu de la LPIC, une fiducie avait été constituée à l’égard du produit de la vente et couvrait les sommes qui leur étaient dues. En outre, la fiducie leur donnait priorité quant à ces sommes sur les créanciers garantis.
Le juge de la requête a rejeté la réclamation fondée sur la fiducie au motif que le produit de la vente n’avait pas été reçu directement par le propriétaire des unités vendues mais plutôt par le contrôleur. La disposition pertinente, soit le paragraphe 9(1) de la LPIC, visait la vente d’un bien par son propriétaire, et non par un représentant de celui-ci.
La CAO a infirmé la décision du juge de la requête et confirmé l’effet pratique du paragraphe 9(1) de la LPIC dans les cas de procédures d’insolvabilité. Ainsi, selon la CAO, le fait que les conventions d’achat et de vente aient été conclues par le contrôleur et non par le propriétaire lui-même ne changeait rien au fait que le propriétaire était en bout de ligne le vendeur des unités.
La CAO a également abordé la question de l’interaction entre la LPIC, qui est une loi provinciale, et la LACC, qui est une loi fédérale, sous l’angle de la doctrine de la prépondérance fédérale. Selon cette doctrine, lorsqu’une loi provinciale valablement adoptée est incompatible avec une loi fédérale valablement adoptée elle aussi, la loi fédérale a préséance, tandis que la loi provinciale devient inopérante dans la mesure de l’incompatibilité. En se fondant sur cette doctrine, la jurisprudence établie aux termes de la LFI indique que les fiducies réputées en vertu d’une loi provinciale sont inopérantes dans le contexte d’une faillite assujettie à la LFI. Toutefois, dans la mesure où la loi provinciale applicable crée une fiducie véritable (et non lorsqu’il est présumé qu’une fiducie existe), cette fiducie véritable survit à la faillite et les fonds versés dans celle-ci sont à la disposition de ses bénéficiaires et non à la disposition de l’ensemble des créanciers. Pour exister, une fiducie véritable doit présenter trois certitudes : une certitude quant à l’intention, une certitude quant à la matière et une certitude quant à l’objet.
Citant des arrêts rendus par la CSC, la CAO a conclu que le paragraphe 9(1) avait créé une fiducie qui présentait les trois certitudes requises et qui, par conséquent, avait survécu à la faillite. Suivant le paragraphe 9(1), la matière de la fiducie était la valeur de la contrepartie reçue par le propriétaire à la suite de la vente de son intérêt, tandis que l’objet de la fiducie était les entrepreneurs impayés qui avaient effectués des travaux et fournis des matériaux en vue de l’amélioration du bien vendu. Enfin, selon le paragraphe 9(1), la certitude requise quant à l’intention était établie par la présomption de la constitution d’une fiducie et l’exigence voulant que les fonds en fiducie ne soient pas appropriés à des fins incompatibles avec les dispositions de la fiducie. Étant donné que la LACC (contrairement à la LFI), ne rend généralement pas invalides les fiducies réputées en vertu d’une loi provinciale, dans la mesure où une fiducie survivrait à une faillite, la CAO a statué que celle-ci devrait également continuer de produire ses effets dans le cadre d’une affaire sous le régime de la LACC.
La CAO a conclu que la fiducie créée par le paragraphe 9(1) est supplantée par la doctrine de la prépondérance uniquement si elle est incompatible avec une priorité spécifique créée en vertu de la LACC ou avec une ordonnance donnant effet à une telle priorité, de sorte qu’aux termes de la doctrine de la prépondérance, la fiducie serait alors considérée inopérante en totalité ou en partie. Pour l’application de la doctrine de la prépondérance, les charges superprioritaires, comme les charges consenties pour le financement du débiteur-exploitant (ou financement DIP) dans cette affaire, prennent rang avant une fiducie créée en vertu d’une loi provinciale. La fiducie créée en vertu du paragraphe 9(1) prenait donc rang après la charge au titre du financement DIP, mais demeurait par ailleurs opérante à l’égard des créanciers garantis opposés.
Statut
Le délai pour demander l’autorisation de porter cette décision en appel à la CSC est expiré. Cette décision est donc finale.
Points à retenir
La fiducie créée par le paragraphe 9(1) de la LPIC répond aux exigences d’une fiducie véritable en vertu des principes généraux du droit des fiducies et ne peut être supplantée par la doctrine de la prépondérance que si elle est incompatible avec une priorité spécifique créée en vertu de la LACC. La réclamation fondée sur la fiducie prend rang après la charge au titre du financement DIP. En l’absence de priorité conflictuelle, le produit de la vente de biens auxquels un entrepreneur impayé à ajouter de la valeur portera la marque de la fiducie.
RÉCLAMATIO N D'UN LOCATEUR APRÈS LA RÉSILIATION D'UN BAIL FONCIER DANS LE CADRE D'UNE PROCÉDURE DE FAILLITE
Curriculum Services Canada/Services Des Programmes D'Études Canada (Re), 2020 ONCA 267
Date de la décision : le 27 avril 2020
En vertu de l’alinéa 136(1)(f) de la LFI, les créances d’un locateur bénéficient d’une priorité (prenant rang après celles des créanciers garantis, mais avant celles de l’ensemble des créanciers non garantis) quant (i) aux arriérés de loyer pour une période de trois mois précédant la faillite, et (ii) au loyer exigible par anticipation, pour une somme correspondant à trois mois de loyer au plus après la faillite, si le bail lui confère le droit de toucher le loyer exigible par anticipation, jusqu’à concurrence de la valeur réalisable des biens se trouvant sur les lieux sous bail.
Dans cette affaire, à la suite de la résiliation de son bail, le locateur réclamait, outre sa créance prioritaire, le remboursement de certains incitatifs à la prise à bail ainsi que le solde de sa créance prioritaire au titre du loyer exigible par anticipation en sus de la valeur réalisable des biens se trouvant sur les lieux en tant que créancier non garanti ordinaire.
La CAO a confirmé qu’en Ontario, la résiliation d’un bail par un syndic de faillite met fin aux obligations du failli aux termes du bail. Les droits du locateur se limitent à sa créance prioritaire au titre du loyer exigible par anticipation pour une somme correspondant à trois mois de loyer au plus pour la durée non expirée du bail, jusqu’à concurrence de la valeur des biens se trouvant sur les lieux. Si la valeur des biens n’est pas suffisante, le locateur a le droit de recouvrer le solde impayé de sa créance prioritaire à titre de créancier non garanti ordinaire.
Statut
Le délai pour demander l’autorisation de porter cette décision en appel à la CSC est expiré. Cette décision est donc finale.
Point à retenir
En Ontario, lorsqu’un bail est résilié par un syndic de faillite, le locateur commercial n’a aucun droit à l’égard de la durée non courue de son bail au-delà de sa créance prioritaire au titre du loyer exigible par anticipation pour une somme correspondant à trois mois de loyer au plus jusqu’à concurrence de la valeur des biens se trouvant sur les lieux et d’une créance non garantie pour le solde impayé de sa créance prioritaire en sus de la valeur des biens se trouvant sur les lieux.
ÉTENDUE DES POUVOIRS D'UN CONTRÔLEUR
Arrangement relatif à 9323-7055 Québec inc. (Aquadis International Inc.) 2020 QCCA 659
Date de la décision : 21 mai 2020
Aquadis International Inc. (« Aquadis ») importait des produits pour salle de bain, y compris des robinets, qu’elle distribuait auprès de divers détaillants qui les revendaient à leurs clients, des utilisateurs finaux au Québec. Certains des robinets distribués par Aquadis étaient défectueux et, en 2015, Aquadis a entrepris une procédure de proposition aux termes de la LFI, qu’elle a ensuite continuée sous le régime de la LACC, à la suite de demandes d’indemnité en subrogation présentées par des assureurs. Peu après le début de sa procédure d’insolvabilité, Aquadis a commencé à négocier avec ses détaillants afin de parvenir à un règlement global aux termes duquel les détaillants contribueraient à un fonds de financement par des litiges en échange de quittances complètes eu égard à toute responsabilité découlant de la vente de robinets défectueux.
Aucun règlement global n’a été conclu et, en 2019, en vertu de ses pouvoirs élargis conférés par une ordonnance du tribunal, le contrôleur d’Aquadis a déposé un plan de transaction et d’arrangement. Le plan prévoyait l’établissement d’un fonds de financement par des litiges constitué de toutes les sommes d’argent recueillies par le contrôleur auprès de tierces parties, dont certains des détaillants qui étaient disposés à parvenir à un règlement, en échange de quittances complètes. Aux termes du plan, le contrôleur avait le pouvoir de poursuivre, pour le bénéfice des créanciers, les détaillants opposés à un règlement afin de les contraindre à contribuer au fonds de financement par des litiges.
Le plan a été approuvé à l’unanimité par les créanciers. Les détaillants opposés à un règlement ont toutefois contesté le plan. Néanmoins, la Cour supérieure du Québec a approuvé le plan, soulignant notamment que les procédures contre les détaillants opposés à un règlement avaient pour but de maximiser les actifs d’Aquadis, soit un objectif que la jurisprudence reconnaît comme étant approprié. La Cour a également souligné qu’un recours contre les détaillants opposés à un règlement constituait la seule solution offerte pour obtenir le règlement global des responsabilités d’Aquadis. Par conséquent, selon la Cour, les pouvoirs demandés par le contrôleur en vue de poursuivre les détaillants opposés à un règlement étaient nécessaires pour faire avancer le processus de restructuration et la seule solution pratique dans les circonstances.
Les détaillants opposés à un règlement ont porté cette décision en appel au motif que, selon eux, les pouvoirs que le plan conférait au contrôleur étaient contraires à l’article 23 de la LACC, lequel établit les attributions des contrôleurs et énonce le principe de neutralité que ceux-ci doivent observer.
La Cour d’appel du Québec (la « CAQ ») a rejeté les arguments des appelants. En vertu de l’article 23, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’élargir les attributions d’un contrôleur. Dans cette affaire, l’élargissement des pouvoirs du contrôleur se justifiait par l’objectif visé, soit la maximisation du recouvrement offert aux créanciers, lequel objectif était tout à fait conforme à l’esprit de la LACC. La CAQ a également noté que les recours et pouvoirs prévus par la loi et offerts aux syndics de faillite en vertu de la LFI sont également offerts aux contrôleurs désignés en vertu de la LACC, et qu’en vertu de la LFI, un syndic peut exercer des droits non seulement pour le bénéfice du débiteur, mais également pour celui des créanciers. En outre, les appelants n’étaient pas des créanciers mais plutôt des tierces parties envers lesquelles le contrôleur n’avait aucune obligation. Enfin, les créanciers ont voté à l’unanimité pour que le contrôleur puisse exercer leurs droits contre les appelants dans le contexte de la procédure aux termes de la LACC. Par conséquent, le contrôleur a bel et bien agi conformément à la volonté collective des créanciers.
La CAQ a également mentionné que l’obligation de neutralité du contrôleur n’est pas absolue, du moment que celui-ci est objectif et impartial, et qu’il cherche à réaliser les objectifs légitimes de la LACC.
Statut
Le délai pour demander l’autorisation de porter cette décision en appel à la CSC est expiré. Cette décision est donc finale.
Points à retenir
Lorsque les circonstances sont appropriées, un contrôleur peut avoir le droit d’entamer des poursuites au nom et pour le bénéfice des créanciers dans le but de maximiser le patrimoine pour l’application de la LACC.
RÉSILIATION PARTIELLE D’UN CONTRAT
Yukon (Government of) v. Yukon Zinc Corporation, 2020 YKSC 16
Date de la décision : 26 mai 2020
Yukon Zinc, une société minière, était partie à un contrat-cadre de location qui visait environ 570 éléments liés à ses activités minières, y compris de l’équipement, des véhicules et des outils. Le séquestre de Yukon Zinc a déterminé que seulement 79 éléments parmi ceux qui étaient visés par le contrat-cadre de location étaient requis pour poursuivre l’entretien et la maintenance nécessaires de la mine ainsi que les activités d’assainissement environnemental de celle-ci. Ainsi, le séquestre a demandé la résiliation des sections du contrat-cadre de location qui portaient sur les éléments non essentiels. L’autre partie au contrat-cadre de location (le « cocontractant ») s’est opposée à la résiliation partielle et a fait valoir que celle-ci n’est pas permise par la loi. Le cocontractant a soutenu que le séquestre devait faire un choix entre l’annulation ou le maintien du contrat dans son ensemble.
La Cour suprême du Yukon a statué que même s’il s’agit d’une pratique rare, elle a le pouvoir d’autoriser une résiliation partielle d’un contrat, dans des circonstances appropriées, en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé par la LFI et la Judicature Act (Yukon). La cour a mis l’accent sur le fait que, dans les circonstances, le séquestre a agi de bonne foi et a tenu compte des intérêts de toutes les parties concernées. Notant que le séquestre n’exploitait pas la mine, la cour a ordonné que les éléments expressément désignés aux fins de l’entretien, de la maintenance et de l’assainissement environnemental de la mine puissent être utilisés de façon urgente. Selon la cour, les coûts et le temps nécessaires pour remplacer ces éléments essentiels étaient déraisonnables, compte tenu de l’emplacement éloigné de la mine, et la poursuite de l’entretien, de la maintenance et des activités d’assainissement représentait un besoin immédiat. Soulignant que, dans les circonstances, les modalités du contrat-cadre de location étaient très exigeantes et non raisonnables d’un point de vue commercial, la Cour a autorisé la résiliation partielle du contrat-cadre de location.
Statut
Le délai d’appel de cette décision étant expiré, elle est maintenant finale.
Points à retenir
Cette affaire comportait un ensemble unique de faits concernant des préoccupations relatives à la santé, à la sécurité et à l’environnement. Le séquestre a été en mesure d’établir un sous-ensemble d’équipements loués requis à partir d’une liste d’éléments contenue dans un contrat-cadre de location, et il a pu attribuer une valeur à l’utilisation de tels éléments essentiels. Par ailleurs, la prudence est de mise avant de conclure que ce précédent peut s’appliquer à une situation ayant des faits différents.
NOMINATION D’UN SÉQUESTRE EN VERTU L’ARTICLE 243 DE LA LFI ET INTERACTION DE CELLE-CI AVEC LE CODE CIVIL DU QUÉBEC
Séquestre de Media5 Corporation, 2020 QCCA 943
Date de la décision : 20 juillet 2020
Aux termes du paragraphe 243(1) de la LFI, un tribunal est autorisé à nommer un séquestre à l’égard d’une personne insolvable à la demande d’un créancier garanti. Contrairement aux règles de procédure et aux lois des provinces de common law, le Code civil du Québec (le « CCQ ») ne prévoit pas la nomination d’un séquestre. Par conséquent, la seule façon de nommer un séquestre au Québec est par le truchement de l’application de la LFI fédérale.
Le créancier garanti de Media5 Corporation a présenté une telle demande devant la Cour supérieure du Québec. À l’issue d’une audience de contestation, la cour a conclu qu’il n’est pas possible, au Québec, de nommer un séquestre à la demande d’un créancier garanti afin de vendre les biens d’une entreprise lorsque ces biens se retrouvent uniquement au Québec.
Le créancier garanti a interjeté appel de la décision du tribunal de première instance.
La Cour d’appel du Québec (la « CAQ ») s’est penchée sur la portée du paragraphe 243(1) de la LFI en parallèle avec les exigences du CCQ relativement à l’exercice des droits hypothécaires. Elle a infirmé la décision de première instance, arrivant plutôt à la conclusion qu’un séquestre peut être nommé au Québec aux termes du paragraphe 243(1) de la LFI. La CAQ a noté, toutefois, que les dispositions de la LFI relatives à la nomination d’un séquestre doivent cohabiter et s’interpréter de façon harmonieuse avec les lois provinciales relatives aux biens et aux droits civils, y compris les dispositions relatives aux sûretés et aux hypothèques contenues dans le CCQ. Par conséquent, la nomination doit respecter non seulement les délais de préavis prévus par la LFI, mais aussi les exigences du CCQ quant à l’exercice d’un droit hypothécaire, à savoir l’émission et l’expiration d’un préavis de 20 jours (pour les biens meubles) ou de 60 jours (pour les biens immeubles).
Statut
Le 12 novembre 2020, Media5 Corporation a déposé une demande d’autorisation d’en appeler de cette décision devant la CSC. La décision sur la demande d’autorisation d’appel n’a pas encore été rendue.
Points à retenir
La CAQ a statué que le recours prévu en vue de nommer un séquestre aux termes de la LFI peut être exercé à l’égard de biens se trouvant uniquement au Québec. Cependant, avant de demander une telle nomination, un créancier garanti doit respecter les exigences en matière de préavis qui sont prévues par la LFI et le CCQ. Ainsi, cela signifie que les exigences en matière de préavis relatives à la nomination d’un séquestre aux termes de la LFI ne sont pas uniformes entre le Québec et les provinces de common law.
Pour en savoir davantage à ce sujet, consultez notre Bulletin Blakes de juillet 2020 intitulé Media5 Corporation : La Cour d’appel confirme la marche à suivre pour la nomination au Québec d’un séquestre en vertu de la LFI.
TRANSACTION VISANT DES PRÊTS À TERME ET TRAITEMENT ASYMÉTRIQUE DES CRÉANCIERS NON GARANTIS DANS LE CADRE DE PLANS D’ARRANGEMENT EN VERTU DE LA LCSA
Re Sherritt International Corporation, 2020 ONSC 5822
Date de la décision : 28 septembre 2020
Sherritt International Corporation (« Sherritt »), une société de portefeuille comptant diverses filiales, a demandé l’approbation définitive d’un plan d’arrangement en vertu de l’article 192 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »). Les plans aux termes de la LCSA sont devenus une solution de rechange attrayante et avantageuse d’un point de vue financier aux procédures aux termes de la LACC, et ce, pour les sociétés surendettées qui souhaitent réaliser une restructuration de leur bilan, plutôt qu’une restructuration opérationnelle complète pour laquelle la LCSA ne convient pas.
Deux créanciers étaient opposés à l’approbation du plan. Ces créanciers avaient fourni un prêt à terme aux filiales de Sherritt, lequel avait ensuite été garanti par Sherritt. Le prêt était garanti par une mise en gage de participations, détenues directement ou indirectement par Sherritt, dans le capital d’une coentreprise minière étrangère. Aux fins du vote, les créanciers opposants ont été classés dans la même catégorie que les porteurs de billets non garantis, alors que le plan prévoyait un traitement différent à l’égard de chacun des deux groupes de créanciers. Aux termes du plan, il était prévu que les créanciers opposants deviendraient propriétaires des participations dans le capital qui avaient été mises en gage en leur faveur afin de garantir le prêt. En ce qui a trait aux porteurs de billets non garantis, leurs créances seraient subordonnées et la valeur nominale de celles-ci serait réduite. Quant aux porteurs d’actions existants de Sherritt, ils demeureraient intacts aux termes du plan.
Les créanciers opposants ont fait valoir (i) qu’un prêt à terme ne pouvait faire l’objet d’un arrangement en vertu de la LCSA, et (ii) que le plan était inéquitable puisque (a) les créanciers opposants, qui détenaient une sûreté grevant des participations appartenant à Sherritt, avaient été classés dans la même catégorie aux fins du vote que les porteurs de billets non garantis, et que (b) le plan donnait lieu à une iniquité de fond.
La Cour supérieure de justice de l'Ontario a rejeté le premier motif de l’objection et statué que les prêts à terme peuvent faire l’objet d’un arrangement en vertu de l’article 192 de la LCSA. En rejetant cet argument des créanciers opposants, la cour a souligné l’importance d’interpréter la LCSA de manière large et libérale dans le contexte d’une restructuration de la dette.
Dans le même ordre d’idées, la cour a exprimé son désaccord à l’égard de la prétention voulant que le plan soit inéquitable. Appliquant les principes énoncés dans l’affaire Canadian Airlines Corp. (Re) quant à la classification des créanciers en vertu de la LACC, la cour a tranché qu’aux fins du vote, les créanciers opposants avaient été classés adéquatement dans la même catégorie que les porteurs de billets non garantis de Sherritt. Même si les créanciers opposants détenaient une sûreté grevant certaines participations dont Sheritt était la propriétaire directe ou indirecte, la cour est arrivée à la conclusion qu’à l’instar des porteurs de billets non garantis, les créanciers opposants disposaient de créances non garanties contre Sherritt. De plus, la cour a noté que la fragmentation de la catégorie serait contraire à l’objectif de facilitation des dispositions relatives aux arrangements de la LCSA. Selon la cour, les créanciers opposants n’ont pas été en mesure de démontrer qu’il était impossible pour eux de consulter les porteurs de billets non garantis dans l’optique de conjuguer leurs intérêts communs.
En ce qui concerne la question de l’iniquité de fond, la cour s’est dite convaincue que le plan était à la fois juste et raisonnable à l’endroit des créanciers opposants. Aux termes du plan, la garantie consentie par Sherritt aurait pris fin et les créanciers opposants seraient devenus les propriétaires des participations dans le capital qui avaient été précédemment mises en gage en leur faveur. Sherritt a soutenu que les créanciers opposants se retrouveraient dans la même position à la suite de la mise en œuvre du plan que s’ils avaient réalisé leur sûreté dans le cadre d’une liquidation. Toutefois, les créanciers opposants étaient en désaccord avec le fait que, dans un tel cas, les capitaux propres des actionnaires de Sheritt ne seraient pas dilués ni autrement amoindris. Les créanciers opposants ont souligné que dans le cadre d’une liquidation, aucune valeur ne serait accordée aux capitaux propres tant que la dette envers les créanciers opposants n’aurait pas été remboursée, puisque les capitaux propres étaient classés à un rang inférieur par rapport à leur rang dans la structure du capital. La cour a conclu que cette situation n’entraînerait pas en elle-même une iniquité, notamment parce que les porteurs de billets non garantis dont les créances étaient subordonnées et réduites aux termes du plan avaient voté en grande majorité en faveur de ce plan.
En outre, la cour n’a pas accordé une valeur importante à la garantie qui était éteinte, notant que l’unique valeur de Sherritt, en tant que société de portefeuille, résidait dans ses diverses filiales situées dans différents pays. Selon la cour, si les créanciers opposants avaient conservé la garantie et été obligés d’intenter une poursuite pour recouvrer toute somme manquante, ils auraient été confrontés à un degré de complexité élevé en vue de faire respecter leurs intérêts, et leurs chances de succès auraient été minces.
La cour a évalué la transaction que proposaient les créanciers opposants par rapport à la nécessité de l’arrangement, et elle a statué qu’il ne s’agissait pas d’une option préférable pour Sherritt et ses parties prenantes.
En examinant les différentes objections, la cour a donné des indications concernant les avis fournis par des conseillers financiers ou des placeurs quant au caractère équitable d’une transaction proposée. De tels avis sont couramment soumis aux tribunaux en tant qu’éléments de preuve à l’appui de la demande d’une société visant à ce qu’un tribunal approuve les mesures proposées par la société, y compris un plan d’arrangement en vertu de la LCSA. La cour a déclaré que la simple présentation d’un avis quant au caractère équitable n’était pas significative, notant qu’à l’instar de tout autre élément de preuve, le poids de cette preuve résidait dans son contenu et son essence, lesquels doivent être soigneusement examinés.
Statut
Cette décision n’a pas été portée en appel et elle est donc finale.
Points à retenir
Un prêt à terme constitue un titre de créance qui peut faire l’objet d’une transaction (un arrangement), conformément à l’article 192 de la LCSA. À l’instar de la LACC, les dispositions relatives aux arrangements de la LCSA devraient être interprétées de manière large et libérale dans le contexte d’une restructuration de la dette. Lorsqu’un tribunal se penche sur des objections quant au caractère équitable de la classification des créanciers aux termes de la LCSA, il prend notamment en considération les intérêts communs et l’objectif de facilitation des dispositions relatives aux arrangements de la LCSA. En ce qui a trait à l’examen de fond du caractère équitable d’un arrangement, un tribunal évaluera la nécessité d’un arrangement par rapport à une transaction (un règlement) qui est proposée par les créanciers.
INCLUSION DE QUITTANCES EN FAVEUR DE TIERS DANS UN PLAN D’ARRANGEMENT
Re iAnthus Capital Holdings Inc., 2020 BCSC 1442
Date de la décision : 28 septembre 2020
La Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB ») a examiné le plan d’arrangement proposé par iAnthus Capital Holdings, Inc. (« iAnthus ») en vertu de la Business Corporations Act (Colombie-Britannique) (la « BCA ») afin de déterminer si celui-ci était juste et raisonnable, et si celui-ci devait être approuvé. Le plan d’arrangement était le fruit de négociations entre iAnthus et ses porteurs de billets.
Le plan d’arrangement comprenait une quittance, rédigée de manière générale, qui aurait eu comme effet d’immuniser iAnthus et les personnes actuellement et anciennement associées à iAnthus contre les réclamations formulées dans le cadre de plusieurs actions en justice. Il comportait également une injonction permanente qui interdisait à toutes les personnes d’engager une procédure à l’égard d’une réclamation quittancée. La demande d’approbation du plan d’arrangement a été contestée par les demandeurs dans plusieurs des actions en instance au motif, en partie, que la quittance et l’injonction avaient une portée excessive.
Les conseillers juridiques de certains des créanciers d’iAnthus ont fait valoir qu’une pratique courante s’est développée selon laquelle des arrangements en vertu des lois sur les sociétés sont utilisés pour restructurer des sociétés insolvables ou quasi insolvables, comme iAnthus, d’une façon plus rapide et moins coûteuse que les procédures aux termes de la LACC. Toutefois, la LACC ne procurerait pas la même possibilité de valeur pour les actionnaires. Les conseillers juridiques des créanciers ont soutenu que les prêteurs qui renoncent à leurs créances en échange de capitaux propres, dans des circonstances où les actionnaires obtiennent de la valeur, demanderont le type de quittances en faveur de tiers qui est devenu monnaie courante dans le cadre de procédures en vertu de la LACC. En l’absence de telles quittances, les prêteurs cesseraient d’appuyer de tels arrangements aux termes des lois sur les sociétés, ce qui priverait les sociétés et les actionnaires des avantages associés à cette option de restructuration.
La CSCB a d’abord examiné la question de savoir si le plan était juste et raisonnable, indépendamment de la quittance et de l’injonction. Elle a conclu que celui-ci représentait le meilleur arrangement possible pour les actionnaires d’iAnthus, et ce, à la suite d’une tentative rigoureuse visant à vendre cette société et ses actifs. Néanmoins, la CSCB a refusé d’approuver le plan en raison de l’inclusion de la quittance et de l’injonction car, selon elle, bien que le plan était le meilleur arrangement possible pour les actionnaires, celui-ci donnerait lieu à un traitement inéquitable de certains créanciers.
La CSCB a indiqué que les arrangements prévus en vertu des lois sur les sociétés sont différents de ceux aux termes de la LACC. Malgré une terminologie commune, la LACC et les lois sur les sociétés ne fonctionnent pas de la même façon. Alors que la LACC prévoit expressément un arrangement global proposé avec tous les créanciers ou une catégorie de créanciers, dans le cadre duquel tous les créanciers concernés peuvent se prononcer sur son adoption, la BCA ne prévoit pas une transaction (ou un règlement) visant l’ensemble des créances et des droits de vote connexes.
La CSCB a statué que la BCA ne lui confère pas l’autorité de restreindre les droits des tiers, qui ne reçoivent rien aux termes de l’arrangement et pourraient ne pas être au courant de l’arrangement, afin que la société puisse essentiellement se protéger à l’encontre des réclamations qui existaient avant que l’arrangement soit proposé. Du point de vue de la CSCB, une ordonnance limitant les droits des tiers aux termes de l’arrangement se justifie seulement dans les situations où l’ordonnance est réellement nécessaire et où les positions fondamentales des tiers sont protégées. En l’espèce, les critères d’une telle exception n’étaient pas remplis. Par conséquent, l’inclusion de la quittance et de l’injonction connexe dans le plan faisait en sorte que l’arrangement n’était pas juste et raisonnable.
Cette décision contraste avec celle rendue en 2018 par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Re Concordia International Corp., où la cour a approuvé un plan d’arrangement en vertu de la LCSA qui prévoyait certaines quittances en faveur de tiers au motif que les critères d’approbation de telles quittances aux termes de la LACC s’appliquaient et avaient été remplis. La CSCB a souligné que même si elle se trompait et qu’un tribunal avait le pouvoir d’éteindre les réclamations de tiers dans le cadre d’un arrangement d’entreprise, la quittance ne constituait pas un équilibre juste et raisonnable des intérêts dans les circonstances en l’espèce.
Statut
Le délai d’appel de cette décision étant expiré, celle-ci est maintenant finale.
Points à retenir
La BCA ne confère pas à un tribunal le pouvoir d’approuver un plan d’arrangement qui limite les droits des tiers, sauf dans les cas où cela est réellement nécessaire aux fins de réaliser l’arrangement et où les positions fondamentales des tiers sont protégées.
UN TRIBUNAL CONFIRME L’AUTONOMIE DES LETTRES DE CRÉDIT ET JUGE QU’UN LOCATEUR PEUT Y PRÉLEVER LE PLEIN MONTANT DE LA CRÉANCE
Re 7636156 Canada Inc, 2020 ONCA 681
Date de la décision : 28 octobre 2020
À la suite de la résiliation d’un bail par le syndic de faillite de la société 7636156 Canada Inc. (le « failli »), le syndic de faillite a déposé une motion en vue d’obtenir une décision quant au montant pouvant être prélevé par le locateur du failli sur une lettre de crédit qui avait été fournie au locateur en garantie de l’exécution des obligations du failli aux termes du bail. Le syndic de faillite prétendait que le locateur avait le droit de prélever sur la lettre de crédit l’équivalent de seulement trois mois de loyer exigible par anticipation, conformément à la créance privilégiée du locateur aux termes de la LFI.
La CAO a confirmé que les obligations d’un émetteur d’honorer un prélèvement sur une lettre de crédit sont des obligations indépendantes de tiers que la banque émettrice doit honorer lorsqu’elle reçoit des documents qui, à première vue, sont conformes aux modalités et conditions de la lettre de crédit. La résiliation d’un bail met seulement fin aux droits et aux recours d’un locateur à l’égard du patrimoine d’un locataire failli, et non aux droits et aux recours d’un locateur envers les tiers, y compris les émetteurs de lettres de crédit. Par conséquent, le locateur avait le droit de faire un prélèvement sur la lettre de crédit dans la pleine mesure de son préjudice pour la période restant à courir du bail.
Statut
Le 18 décembre 2020, une demande d’autorisation d’en appeler devant la CSC a été présentée par le syndic de faillite. La décision sur la demande d’autorisation d’appel n’a pas encore été rendue.
Points à retenir
Les obligations incombant à un émetteur d’honorer un prélèvement sur une lettre de crédit constituent des obligations indépendantes de tiers qui ne sont pas touchées par la résiliation d’un bail par un syndic de faillite. Dans le cadre d’une faillite, les réclamations d’un locateur sont limitées, mais la réclamation d’un locateur en raison d’un préjudice pour la période restant à courir d’un bail n’est pas limitée en ce qui concerne l’application d’une lettre de crédit.
Pour en savoir davantage, consulter notre Bulletin Blakes de décembre 2020 intitulé Autonomie des lettres de crédit : la cour confirme qu’un propriétaire peut prélever le plein montant de sa réclamation.
ORDONNANCES DE DÉVOLUTION INVERSÉE
En 2020, le recours aux ordonnances de dévolution inversée (« ODI ») comme outil pour faciliter les restructurations s’est accru. Une ODI permet le transfert de passifs et d’actifs non voulus depuis une société débitrice vers une entité nouvellement constituée (ou une filiale existante) avant le transfert des actions de la société débitrice existante à l’acheteur. Il en résulte ainsi que tout ce que l’acheteur potentiel pourrait ne pas vouloir peut être retiré de l’entité faisant l’objet de l’acquisition, et ce, sans vote des créanciers.
Une ODI aurait été utilisée pour la première fois dans le cadre des procédures entamées en vertu de la LACC de T. Eaton Company Limited (« Eatons ») en 1999 afin que soient retirés certains passifs d’Eatons avant sa fusion avec Sears Canada Inc. (« Sears »). L’ODI permettait à Sears de conserver les avantages découlant des pertes fiscales d’Eatons. En 2015, une ODI a également été utilisée dans le cadre des procédures entamées en vertu de la LACC de Plasco Energy Group Inc. (« Plasco ») pour permettre aux créanciers garantis qui avaient conclu une opération avec Plasco de conserver les avantages découlant des pertes fiscales de cette dernière. Il s’agirait des deux seuls cas où une ODI a été utilisée avant octobre 2019.
Les décisions de 2020 qui sont résumées ci-après témoignent du recours de plus en plus courant aux ODI.
Arrangement relatif à Nemaska Lithium inc., 2020 QCCA 1488
Date de la décision : 11 novembre 2020
Les débiteurs visés par la LACC participaient au développement d’un projet de mine de lithium au Québec.
En janvier 2020, dans le cadre d’une procédure en vertu de la LACC, la Cour supérieure du Québec (la « CSQ ») a approuvé, sans opposition, un processus de vente ou de sollicitation d’investisseurs (« PVSI »). Le PVSI a donné lieu à l’acceptation d’une offre déposée sous réserve de l’émission d’une ODI prévoyant l’acquisition des actions des sociétés débitrices. L’ODI permettrait à l’acheteur potentiel de poursuivre les activités des sociétés débitrices dans un domaine hautement réglementé tout en conservant leurs permis, licences, autorisations, contrats essentiels et attributs fiscaux en vigueur. Les passifs non pris en charge par l’acheteur seraient retirés des sociétés faisant l’objet de l’acquisition.
Deux actionnaires, dont l’un était également créancier, se sont opposés à l’approbation de l’ODI sur plusieurs motifs, notamment le fait que le tribunal n’avait pas la compétence d’émettre une ordonnance de dévolution autrement que pour la vente ou la cession d’actifs, et qu’il était impossible, en vertu de la LACC, pour les sociétés débitrices d’émerger de la protection en vertu de la LACC en dehors du cadre d’un plan de transaction ou d’arrangement approuvé par les créanciers et le tribunal.
Le juge chargé de la procédure en vertu de la LACC a autorisé l’ODI, en faisant valoir l’objectif et l’efficacité de l’ODI en ce qui a trait au maintien des activités des sociétés débitrices, l’objectif réparateur des lois canadiennes sur l’insolvabilité, ainsi que le rôle important et le vaste pouvoir discrétionnaire du juge surveillant. Le juge a également déterminé que les critères énoncés à l’article 36 de la LACC, lequel établit les facteurs dont un tribunal doit tenir compte en ce qui concerne la cession de biens, étaient pertinents pour l’émission d’une ODI. En l’espèce, le juge a conclu que les critères avaient été satisfaits. Les parties opposées à l’approbation de l’ODI ont demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision.
La Cour d’appel du Québec (la « CAQ ») a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision rendue par le juge chargé de la procédure en vertu de la LACC. Elle a noté que même si l’opération visée par l’ODI avait été soumise au vote des créanciers sous la forme d’un plan de transaction ou d’arrangement, les créanciers qui s’y opposaient n’auraient pu déterminer l’issu du vote car leurs réclamations n’étaient pas suffisamment importantes. L’un des facteurs à prendre en compte dans l’autorisation d’un appel est l’incidence qu’aurait l’appel sur la procédure en vertu de la LACC. La CAQ a souligné qu’un appel pourrait nuire à l’évolution de la procédure en vertu de la LACC et compromettre la clôture de l’opération, ce qui porterait un préjudice considérable aux créanciers.
Statut
Une demande d’autorisation d’interjeter appelde cette décision a été déposée auprès de la CSC. La décision relative à cette demande est attendue.
Points à retenir
La décision de la CAQ reconnaît l’ODI comme un outil permettant aux professionnels de l’insolvabilité d’assurer le transfert des activités d’une société en difficulté, et ce, conformément aux objectifs réparateurs de la LACC.
Southern Star Developments Ltd. v Quest University Canada, 2020 BCCA 364
Date de la décision : 17 décembre 2020
En janvier 2020, Quest University Canada (« Quest ») a entamé des procédures en vertu de la LACC. Les intérêts de Quest comprenaient une convention de société en commandite avec Southern Star Developments Ltd. (« Southern Star »), soit le commandité, et Southern Star Developments Limited Partnership (« Southern Star LP »). Southern Star LP avait construit des résidences sur un terrain appartenant à Quest. Quest et Southern Star prévoyaient construire un cinquième édifice sur un terrain vacant (lot E) appartenant à Quest. En prévision de cette cinquième résidence, Quest et Southern Star ont conclu un bail foncier en vertu duquel Quest a loué le terrain vacant à Southern Star, ainsi qu’une sous-location en vertu de laquelle Quest louerait la résidence (une fois celle-ci construite) à Southern Star. Le bail foncier était incomplet à bien des égards et n’était pas enregistré auprès du bureau des titres fonciers.
Depuis janvier 2020, Quest cherchait à trouver des acheteurs potentiels pour ses biens immobiliers, y compris le lot E. À la suite d’un PVSI supervisé par un tribunal, Quest a conclu une opération de vente avec Primacorp Ventures Inc. (« Primacorp »). Afin de faciliter cette opération, Quest et Primacorp ont demandé l’émission d’une ODI pour le retrait de l’intérêt de Southern Star dans le lot E. L’ODI stipulerait que toute réclamation découlant du bail foncier incomplet ne serait pas rattachée aux actifs de Quest devant être acquis par Primacorp dans le cadre de l’achat d’actions. De plus, l’ODI interdirait à Southern Star d’enregistrer le bail foncier à l’égard du titre du lot E.
Southern Star s’est opposée à l’ODI. Les motifs de son opposition comprenaient les suivants : a) le tribunal n’avait pas la compétence d’accorder l’ODI en vertu de la LACC, l’ODI étant essentiellement la résiliation déguisée d’un intérêt dans un bien immeuble (l’alinéa 32(9)d) de la LACC interdit la résiliation de baux de biens réels par un propriétaire); b) s’il existait une telle compétence en vertu de la LACC, la mesure demandée ne serait ni juste ni équitable en l’espèce.
Le juge surveillant a déterminé que la compétence du tribunal d’émettre une ODI est établie à l’article 11 et au paragraphe 36(6) de la LACC, lequel permet au tribunal d’exercer sa compétence à l’égard de l’autorisation de la disposition d’actifs purgés de toute charge, sûreté ou « autre restriction ».
Le juge surveillant a également déterminé que l’ODI n’était pas interdite par l’alinéa 32(9)d) de la LACC à titre de résiliation déguisée d’un intérêt dans un bien réel. Les parties n’avaient pas pour intention que le bail foncier entre en vigueur uniquement lorsque certaines conditions seraient satisfaites, à savoir que Quest déciderait de construire une résidence sur le lot E et que Southern Star organiserait le financement de la construction de la résidence. Ces conditions n’ayant jamais été satisfaites, aucun bail valide et exécutoire n’existait relativement au lot E.
L’ODI semblait avoir été émise, du moins en partie, en raison et non en dépit de l’opposition de Southern Star. Le droit de cette dernière par rapport aux droits des autres créanciers a donné lieu à la possibilité que Southern Star puisse mettre son veto à un plan de restructuration, si un tel plan avait été requis. Un plan ne constituait donc pas une option viable. De plus, l’opération avec Primacorp avait pour exigence fondamentale que Quest demeure une entité viable et habilitée à délivrer des diplômes universitaires. La capacité de Quest de délivrer des diplômes n’était pas transférable. L’ODI constituait la seule opération proposée qui réglerait les affaires financières du débiteur et qui permettrait à ce dernier d’éviter la liquidation ou la faillite. À la lumière de ces circonstances, le tribunal a déterminé que l’ODI était appropriée.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») a rejeté la demande d’autorisation d’appel présentée par Southern Star, en déterminant qu’il n’y aurait que de faibles possibilités que la CACB intervienne à l’égard de l’exercice de la compétence du juge chargé de la procédure en vertu de la LACC. En règle générale, les décisions rendues par un juge surveillant dans le cadre d’une restructuration en ce qui a trait aux questions d’interprétation contractuelle sont examinées selon une norme très déférente. Un tribunal d’appel doit être convaincu que le juge surveillant a commis des erreurs manifestes ou fondamentales dans sa conclusion. La CACB a également souligné les conséquences désastreuses qu’aurait l’autorisation de l’appel sur les parties prenantes touchées par les circonstances financières de Quest, comme il était peu probable qu’un appel soit entendu dans le délai requis pour préserver l’opération. L’autorisation de l’appel irait ainsi à l’encontre des fins de la LCAA.
Statut
Une demande d’autorisation d’appel auprès la CSC doit être déposée d’ici le 17 février 2021.
Points à retenir
Cette décision vient renforcer le fait que, bien que ce ne soit pas encore la solution la plus courante dans les procédures en vertu de la LACC, une ODI sera considérée appropriée s’il s’agit de la seule opération disponible pour régler les affaires financières d’une société débitrice et favoriser les objectifs de redressement de la LACC.
Bellatrix Exploration Ltd (Re), 2020 ABQB 809
Date de la décision : 22 décembre 2020
À la suite de la décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (la « Cour ») dont il est question au début des présentes, laquelle avait déterminé qu’un contrat entre Bellatrix et le PE était un CFA, Bellatrix a cessé la livraison de gaz naturel prévue par ce contrat, même si elle avait été empêchée de résilier ce dernier. Selon le PE, ce manquement à l’égard des modalités du contrat constituait une violation postérieure au dépôt par Bellatrix. Par conséquent, le PE soutenait qu’en raison des dommages qu’il avait encourus par suite de cette violation, il avait le droit d’être payé en priorité par rapport au créancier garanti de Bellatrix.
Le PE a fait valoir que si sa réclamation n’était pas jugée prioritaire, l’effet pratique du défaut de Bellatrix de s’acquitter de ses obligations en vertu du contrat serait de dépouiller de sens les règles relatives à la résiliation prévues à la LACC. Le PE soutenait que si les débiteurs en vertu de la LACC sont autorisés à enfreindre les CFA à volonté, le résultat serait identique à une résiliation : la contrepartie solvable aurait alors une réclamation prouvable, laquelle serait non garantie à moins qu’il n’en soit prévu autrement dans le contrat. Le PE a fait valoir que dans un tel cas, l’interdiction relative à la résiliation des CFA prévue à la LACC serait sans objet, car la contrepartie solvable ne pourrait faire exécuter le contrat et devrait alors se contenter du même redressement que s’il y avait eu résiliation du CFA.
La Cour s’est penchée sur les protections offertes aux contreparties du CFA en vertu de la LACC et a conclu que la LACC n’oblige pas un débiteur à continuer d’exécuter un CFA qui n’a pas été résilié, et qu’elle n’accorde aucune priorité de réclamation à une contrepartie. La LACC offre une protection supplémentaire aux contreparties solvables d’un CFA en ce sens qu’une telle contrepartie peut résilier le CFA et figer la perte résultante, malgré les dispositions de la LACC en matière de suspension des procédures. Par conséquent, contrairement aux contreparties à un contrat ordinaire, les contreparties à un CFA peuvent résilier ce dernier si la partie insolvable manque à ses obligations prévues au contrat, une mesure que le PE avait choisi de ne pas prendre. La Cour a refusé de présumer qu’il existait une obligation d’exécuter un contrat non économique pouvant avoir une incidence sur la capacité du débiteur de se restructurer. Elle a conclu que si cela avait été l’intention du Parlement, un libellé législatif plus direct serait nécessaire.
Statut
Le PE a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision auprès de la Cour d’appel de l’Alberta. Cette demande sera entendue le 17 février 2021.
Points à retenir
Sous réserve de l’examen de la Cour d’appel de l’Alberta, lorsqu’un débiteur insolvable ne peut résilier un CFA, mais qu’il cesse néanmoins de s’acquitter de ses obligations prévues à ce CFA, la contrepartie solvable ne peut forcer l’exécution du contrat. Elle peut résilier le CFA, figer ses pertes et faire une réclamation à titre de créancier non garanti pour les dommages qu’elle a encourus.
MISE À JOUR D’UN BULLETIN DE 2019 SUR LA JURISPRUDENCE EN MATIÈRE D’INSOLVABILITÉ
DISTRIBUTIONS AUX CRÉANCIERS D’UN PRODUIT DE VENTE FAISANT L’OBJET D’UNE FIDUCIE RÉPUTÉE EN VERTU DE LA LOI SUR LA TAXE D’ACCISE (CANADA)
Banque Toronto-Dominion c. Canada, 2020 CAF 80
Date de la décision : 29 avril 2020
La Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a maintenu la décision rendue par la Cour fédérale le 25 mai 2018.
Comme la Cour fédérale, la CAF a conclu qu’en l’absence d’une faillite, la Loi sur la taxe d’accise (Canada) (la « LTA ») impose aux créanciers garantis l’obligation de rembourser les sommes reçues à partir du produit de la vente d’un bien qui, au moment de la réception du produit, faisaient autrement l’objet d’une fiducie réputée à l’égard de la TVH/TPS non versée (c’est-à-dire la taxe de vente provinciale/fédérale) en vertu de la LTA. Cette obligation existe en vertu de l’article 222 de la LTA, lequel prévoit la création d’une fiducie réputée à l’égard des sommes perçues au titre de la taxe sur les produits et services. Le paragraphe 222(3) prévoit que sont présumés détenus en fiducie les biens du débiteur fiscal et les biens du débiteur fiscal détenus par tout créancier garanti qui, en l’absence du droit en garantie, seraient les biens du débiteur.
La CAF a déterminé que lorsqu’une banque prête de l’argent à un débiteur ayant des dettes au titre de la TVH/TPS et obtient une garantie, les biens du débiteur, jusqu’à concurrence de la dette fiscale, sont déjà réputés être des biens dans lesquels la Couronne a un droit de bénéficiaire. La CAF a également conclu que les créanciers garantis ne peuvent pas se prévaloir du moyen de défense offert aux acquéreurs de bonne foi à titre onéreux, car la possibilité qu’un créancier garanti puisse se prévaloir de cette défense ferait en sorte que les dispositions de la LTA relatives aux fiducies réputées seraient alors dénuées de sens.
Dans sa décision, la CAF a confirmé que l’obligation de rembourser l’argent reçu d’un débiteur qui est autrement assujetti à une fiducie réputée existante pour la TVH/TPS non versée ne s’applique pas aux créanciers non garantis qui reçoivent des paiements d’un débiteur dans le cours normal de leurs activités au motif que le Parlement a fait un choix de politique générale réfléchi en donnant la priorité au fisc par rapport aux droits des créanciers garantis.
Statut
Une demande d’autorisation d’interjeter appel de cette décision a été déposée auprès de la CSC le 6 juillet 2020. Une décision à cet effet est attendue.
Points à retenir
Sous réserve de la révision de la CSC, cette décision établit que, dans un contexte autre que celui d’une faillite, les créanciers garantis seront tenus de rembourser un montant d’argent équivalant à la somme reçue qui faisait l’objet d’une fiducie réputée existante à l’égard de la TVH/TPS, si l’ARC en fait la demande.
APPROBATION DES ACCORDS DE FINANCEMENT DE LITIGE ET DES PLANS DÉPOSÉS PAR UN PRÊTEUR EN VERTU DE LA LACC
9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10
Date de la décision : 8 mai 2020
La CSC a infirmé la décision rendue par la Cour d’appel du Québec (la « CAQ ») pour ainsi rétablir la décision de la Cour supérieure du Québec (la « CSQ »).
Dans cette affaire, un créancier garanti du débiteur a présenté un plan en vertu de la LACC et a demandé aussi au juge surveillant la permission de voter sur ce nouveau plan dans la même catégorie que les créanciers non garantis des sociétés débitrices, au motif que sa sûreté ne valait rien. Le plan proposé comprenait l’avancement d’une somme aux fins de distribution aux créanciers du débiteur, en échange de quoi ce dernier serait libéré d’importantes réclamations de dommages-intérêts portées contre le créancier garanti.
La CSQ avait déterminé que, dans les circonstances appropriées, un créancier pouvait proposer un plan en vertu de la LACC et voter sur ce dernier, mais que dans cette affaire, le créancier utilisait le plan en vertu de la LACC dans un but illégitime, soit celui d’être libéré de réclamations portées contre lui, et qu’il ne devait donc pas avoir la permission de voter sur le plan. La CSQ a également approuvé un accord de financement de litige (un « AFL ») qui permettrait la poursuite de l’instruction des réclamations contre ce créancier garanti.
La CAQ a infirmé la décision de la CSQ en statuant qu’il n’y avait rien d’illégitime à ce qu’un créancier propose un plan dont il pourrait tirer un avantage contre rémunération et que les faits en l’espèce ne permettaient aucunement de refuser au créancier son droit de voter. La CAQ a également infirmé la décision de la CSQ relative à l’AFL, en concluant que selon les circonstances en question, l’AFL avait une incidence sur les droits des créanciers et constituait ainsi un plan d’arrangement qui devait être soumis à l’approbation des créanciers.
La CSC a infirmé à l’unanimité la décision de la CAQ et, ce faisant, a confirmé le vaste pouvoir discrétionnaire dont dispose un juge surveillant pour examiner et mettre en balance les objectifs réparateurs de la LACC, ainsi que pour rendre une gamme d’ordonnances susceptibles de répondre aux circonstances de chaque cas, y compris une ordonnance visant à empêcher un créancier de voter sur un plan d’arrangement dans un but illégitime. À cet égard, le fait pour un créancier d’exercer ses droits de vote de manière à contrecarrer ou à miner les objectifs réparateurs de la LACC ou à aller à l’encontre de ceux-ci constitue notamment un but illégitime. Toutefois, le fait qu’un créancier vote dans son propre intérêt ne constitue pas un but illégitime.
En ce qui a trait au financement du litige, la CSC a conclu que la question de savoir si ce financement devait être approuvé à titre de financement temporaire et se voir attribuer une charge prioritaire commandait une analyse fondée sur les faits en l’espèce, qui devait tenir compte du libellé de l’article 11.2 de la LACC et, de façon plus générale, des objectifs réparateurs de la loi. À cet effet, elle a estimé que le juge surveillant était donc le mieux placé pour effectuer une telle analyse.
Pour en savoir davantage, consultez notre Bulletin Blakes de mai 2020 intitulé La CSC a le dernier mot : financement de litige et vote d’un créancier à des fins illégitimes dans le cadre d’une restructuration.
APPLICABILITÉ DES CLAUSES CONTRACTUELLES PRÉVOYANT DES CONSÉQUENCES PÉCUNIAIRES EN CAS D’INSOLVABILITÉ
Chandos Construction Ltd. c. Deloitte, 2020 CSC 25
Date de la décision : 2 octobre 2020
Dans cette décision, la CSC a rejeté le pourvoi, confirmant l’existence de la règle anti-privation dans la common law canadienne. La règle anti-privation est un principe de common law qui rend nulle toute stipulation contractuelle prévoyant qu’en cas d’insolvabilité ou de faillite, la valeur des actifs à laquelle les créanciers auraient autrement droit est réduite.
Un contrat conclu entre un entrepreneur en construction, Chandos, et un sous-traitant comportait une clause (la « clause d’insolvabilité ») aux termes de laquelle le sous-traitant devait renoncer à 10 pour cent du prix total du contrat advenant, entre autres, la faillite de ce dernier. Lorsque le sous-traitant a procédé à la cession de ses biens, l’application de la clause d’insolvabilité a été déclenchée. Au moment de la faillite, Chandos devait une somme de 150 000 $ CA au sous-traitant et a fait valoir que ce montant devait être réduit conformément à la clause d’insolvabilité.
La CSC a confirmé l’existence de la règle anti-privation dans la common law canadienne et que cette règle empêche de contourner le régime de priorité de la LFI. Elle contribue à maximiser le recouvrement global pour tous les créanciers conformément aux priorités énoncées dans la LFI. La SCC a conclu que cette règle n’avait pas été éliminée, ni par une décision d’un tribunal, ni par le Parlement.
La CSC a également conclu que la règle anti-privation comporte deux volets : l’application de la clause pertinente doit être déclenchée par une insolvabilité ou une faillite, et la clause doit avoir pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable, que l’intention des parties contractantes ait été raisonnable ou non sur le plan commercial. Il s’agit du test fondé sur les effets.
Les stipulations contractuelles qui retirent certains biens de l’actif, sans pour autant réduire la valeur de ce dernier, peuvent ne pas violer la règle anti-privation. Il en va de même pour les stipulations dont l’effet est déclenché par autre chose qu’une insolvabilité ou une faillite. La CSC a également confirmé qu’il n’y a pas de violation de la règle anti-privation lorsque des parties commerciales se protègent contre l’insolvabilité d’un cocontractant en obtenant une garantie ou une assurance ou en exigeant une garantie d’un tiers.
Points à retenir
La CSC a confirmé l’existence de la règle anti-privation dans la common law canadienne, laquelle règle s’applique à toutes les procédures de faillite et d’insolvabilité d’une entreprise.
PRIORITÉ DES CHARGES DE DÉBITEUR-EXPLOITANT
Canada v. Canada North Group Inc., 2019 ABCA 314
Appel entendu le 1er décembre 2020
La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (la « Cour ») s’est penchée sur la question de savoir si un tribunal chargé de l’application de la LACC peut ordonner que des charges, telles que les charges de financement ou d’administration d’un débiteur-exploitant, aient priorité sur les fiducies réputées établies par la loi en faveur de la Couronne pour les retenues à la source non versées. La Cour a déterminé qu’un tel tribunal disposait de cette autorité.
En appel, la majorité des juges de la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé la décision de première instance, statuant que les intérêts de la Couronne en vertu des dispositions sur les fiducies établies par la loi de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada), du Régime de pensions du Canada (Canada) et de la Loi sur l’assurance-emploi (Canada) pour les retenues à la source non versées sont des fiducies réputées, et non des fiducies au sens strict (ces dernières étant des intérêts propriétaux, elles ont la priorité sur les charges ordonnées par le tribunal). L’intérêt de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées s’apparente donc à une sûreté. La Cour d’appel de l’Alberta a statué également que, puisque la LACC permet que la priorité soit accordée aux sûretés, un tribunal siégeant en vertu de la LACC peut ordonner que les charges aient la priorité sur de tels intérêts dans une fiducie réputée.
Statut mis à jour
L’autorisation d’interjeter appel de la décision devant la CSC a été accordée le 26 mars 2020. L’appel a été entendu le 1er décembre 2020. En date de la publication du présent bulletin, aucun jugement n’a été rendu public.
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Pamela Huff 416-863-2958
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