Dans l’affaire Democracy Watch v. Attorney general of Canada (l’« affaire Démocratie en surveillance »), la Cour fédérale (la « Cour ») a conclu que la commissaire au lobbying du Canada (la « commissaire ») avait agi de façon raisonnable lorsqu’elle a déterminé que deux anciens employés de Chrystia Freeland (alors qu’elle était ministre du Commerce international) n’avaient pas créé un conflit d’intérêts. Démocratie en surveillance avait soutenu que les anciens employés avaient contrevenu au Code de déontologie des lobbyistes (le « Code ») en communiquant avec le secrétaire parlementaire de Mme Freeland à l’époque, David Lametti, et avec des membres du personnel de celui-ci. Cette affaire nous donne une rare occasion d’examiner comment la commissaire interprète le Code.
Contexte
Entre 2013 et 2017, deux particuliers ont travaillé, notamment en tant que bénévoles, dans le cadre de la campagne électorale de Mme Freeland, au bureau de celle-ci et/ou auprès de l’association de la circonscription de celle-ci. En 2016, les deux ont commencé à travailler au Conseil canadien des innovateurs (le « CCI ») et ont été désignés comme lobbyistes travaillant pour le CCI dans le Registre des lobbyistes. Le CCI était inscrit comme lobbyiste auprès d’Affaires mondiales Canada (qui englobait notamment le ministère du Commerce international).
Le CCI a signalé dans le Registre des lobbyistes quatre communications que les deux particuliers ont eues avec M. Lametti ou des membres du personnel de celui-ci. La commissaire a conclu que, en entamant ces communications, les deux particuliers n’ont pas placé Mme Freeland dans une situation de conflit d’intérêts contrevenant aux règles 6 et 9 des dispositions sur les conflits d’intérêts du Code. Démocratie en surveillance a demandé un contrôle judiciaire des décisions rendues par la commissaire.
Décision de la Cour
La Cour a conclu que les décisions de la commissaire quant à l’application des règles 6 et 9 étaient raisonnables.
Règle 6
La règle 6 stipule qu’« [u]n lobbyiste ne doit proposer ni entreprendre aucune action qui placerait un titulaire d’une charge publique en situation de conflit d’intérêts réel ou apparent. » Démocratie en surveillance a avancé que la commissaire avait interprété de façon déraisonnable et étroite le sens à donner au terme « conflit d’intérêts apparent ». Selon l’organisme, en concentrant son analyse sur la conduite de la ministre, la commissaire a confondu le critère objectif, à savoir si un observateur raisonnable conclurait que la capacité du titulaire d’une charge publique à exercer ses pouvoirs, devoirs et fonctions officiels doit avoir été affectée par ses intérêts personnels, avec le critère utilisé pour analyser un conflit d’intérêts réel. Il a de plus fait valoir que l’analyse aurait plutôt dû porter sur la conduite des lobbyistes et servir à déterminer si celle-ci créait un conflit d’intérêts apparent aux yeux du public.
La Cour a rejeté cet argument et conclu que la façon dont la commissaire avait appliqué le critère était raisonnable. En effet, la commissaire avait concentré son analyse sur la conduite des lobbyistes, et non sur celle de la ministre, et elle avait tenu compte de tous les précédents et documents sources pertinents dans son application du critère à un conflit d’intérêts apparent. Ces précédents et documents appuient le recours à un critère objectif, fondé sur les circonstances réelles, plutôt que sur de la spéculation. Par conséquent, il était raisonnable que la commissaire détermine qu’un observateur raisonnable ne conclurait pas qu’en ayant des conversations avec M. Lametti et des membres du personnel de celui-ci, les particuliers auraient eu une incidence sur la capacité de Mme Freeland d’exercer ses pouvoirs officiels, ses devoirs et ses fonctions.
Règle 9
La règle 9 prévoit que « [s]i un lobbyiste entreprend des activités politiques pour le compte d’une personne qui pourraient vraisemblablement faire croire à la création d’un sentiment d’obligation, il ne peut pas faire de lobbying auprès de cette personne pour une période déterminée si cette personne est ou devient un titulaire d’une charge publique. Si cette personne est un élu, le lobbyiste ne doit pas non plus faire de lobbying auprès du personnel du bureau dudit titulaire. »
Démocratie en surveillance a invoqué le fait que, d’après lui, la commissaire avait adopté une approche trop limitée dans son interprétation des termes 1) « cette personne » et 2) « personnel ». Selon l’organisme, M. Lametti et le personnel de celui-ci devaient être inclus dans la portée du terme « cette personne » parce que les activités de lobbying auprès du secrétaire parlementaire de Mme Freeland supposaient nécessairement que ces activités s’étendaient à Mme Freeland. De plus, Démocratie en surveillance a avancé que M. Lametti et son personnel devaient être inclus dans le « personnel » de Mme Freeland, lequel ne peut faire l’objet de lobbying en vertu de la règle 9.
La Cour a rejeté ces deux arguments. Selon elle, il n’était pas déraisonnable d’interpréter « cette personne » comme renvoyant uniquement à Mme Freeland, cette interprétation étant conforme au sens ordinaire de ces mots ainsi qu’avec le reste de la règle 9, où « cette personne » signifie le titulaire d’une charge publique auprès duquel aucune activité de lobbying ne devrait être menée. En outre, la Cour a conclu qu’il était raisonnable que la commissaire détermine que M. Lametti et le personnel de celui-ci ne faisaient pas partie du « personnel » de Mme Freeland puisque M. Lametti était un représentant élu doté de son propre personnel. Qui plus est, contrairement au pouvoir que la ministre exerce à l’égard des modalités et des conditions de son propre personnel, celle-ci n’en exerce pas à l’égard des modalités et des conditions de la nomination du secrétaire parlementaire.
Principaux points à retenir
L’affaire Démocratie en surveillance donne un aperçu utile de l’application de la norme d’examen selon laquelle la Cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle contrôle les décisions de la commissaire, ainsi que de la confirmation judiciaire de l’interprétation que la commissaire a faite des règles 6 et 9 du Code. Plus particulièrement, elle confirme qu’un conflit d’intérêts apparent doit être évalué du point de vue d’un observateur raisonnable en se concentrant sur la conduite des lobbyistes. Enfin, elle confirme que l’analyse servant à déterminer si un conflit d’intérêts a été créé aux termes de la règle 9 doit être concentrée sur la personne auprès de laquelle les activités de lobbying ont réellement été menées et non sur un lien indirect au titulaire d’une charge publique auprès de qui il est interdit à des particuliers de mener des activités de lobbying.
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