Le métavers est souvent décrit comme l’Internet de demain. Bien que son développement n’en soit qu’à un stade précoce, des sociétés émergentes et d’autres bien établies investissent des millions de dollars dans la mise au point des technologies qui façonneront le métavers. Même si cet univers parallèle de réalité virtuelle ne sera probablement pas accessible avant plusieurs années, nous savons que de nouveaux domaines de droit pourraient voir le jour, comme ce fut le cas après l’avènement d’Internet pour encadrer le monde en ligne. Il n’est plus rare aujourd’hui que des cyberattaques ou des atteintes à la protection des données donnent lieu à des actions collectives. Quelle que soit la forme que prendra le métavers, le droit évoluera en conséquence.
Ce bulletin est le premier d’une série en deux parties qui se penche sur les questions juridiques uniques que pourrait soulever le métavers. Dans cette première partie, nous réfléchissons aux nombreux défis que pourrait poser le métavers du côté des litiges, surtout en matière de protection de la vie privée et de responsabilité du fabricant. Dans la seconde partie, nous examinerons les principaux points que devraient prendre en considération les organisations envisageant d’entrer dans le métavers, notamment eu égard à la protection de la vie privée.
QU’EST-CE QUE LE MÉTAVERS?
Le terme « métavers » est défini de diverses façons. Pour nos fins, nous entendons par « métavers » la version 3D d’Internet, soit un monde virtuel immersif qui existe en parallèle du monde réel, où vous pouvez interagir grâce à un casque de réalité virtuelle. Imaginez que vous avez une vie numérique parallèle dans laquelle votre avatar évolue et rencontre l’avatar d’autres personnes présentes dans le même espace numérique. Dans ce monde parallèle, vous pourriez posséder des immeubles virtuels, vous rendre dans un magasin pour y acheter des biens virtuels, ou encore vous rendre dans un bureau virtuel afin d’assister à une réunion à laquelle participeront les avatars de vos collègues de la vie réelle.
Selon les perspectives les plus idéalistes, le métavers serait pleinement interexploitable. Ainsi, votre avatar et vos biens virtuels pourraient aisément passer d’un espace virtuel à un autre, peu importe la plateforme qui soutient chacun de ces espaces. Il est sans doute plus réaliste de croire, néanmoins, que le métavers prendra la forme de multiples « jardins fermés », c’est-à-dire que chaque espace virtuel maintenu par une plateforme donnée constituera un système fermé qui ne sera pas compatible avec les autres.
LITIGES EN MATIÈRE DE PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE ET MÉTAVERS
Si le métavers évolue comme prévu, il permettra la collecte d’une quantité sans précédent de données sur les utilisateurs. Les plateformes infonuagiques (comme c’est le cas actuellement) recueilleront des données sur ce que les utilisateurs achètent dans le métavers, ce qu’ils regardent ou ce dont ils discutent avec d’autres utilisateurs. Puisque l’accès au métavers se fera par le biais d’un casque de réalité virtuelle, un nombre encore plus important de données pourra éventuellement être recueilli sur les utilisateurs, notamment sur leurs mouvements, leurs réponses physiologiques et peut-être même leurs ondes cérébrales, ce qui permettrait aux plateformes d’acquérir une compréhension approfondie des schémas de pensées et des comportements des utilisateurs.
Bon nombre des litiges en matière de protection de la vie privée liés à l’Internet conventionnel et intentés dans les provinces de common law sont fondés sur le délit d’intrusion dans l’intimité, qui renvoie au scénario du « fouinard » selon lequel le défendeur se serait introduit intentionnellement dans les affaires personnelles du plaignant d’une manière qui serait considérée comme étant offensante par une personne raisonnable. En plus des atteintes à la protection des données, on peut imaginer d’autres scénarios dans lesquels le métavers risquerait de donner lieu à des délits d’intrusion dans l’intimité. Par exemple, s’il est possible d’acheter un immeuble virtuel dans le métavers, un défendeur pourrait engager sa responsabilité pour être allé fouiner dans la maison virtuelle du demandeur. Un défendeur pourrait aussi avoir réussi à trafiquer le casque de réalité virtuelle du demandeur afin de suivre ses mouvements, ses conversations et peut-être même ses pensées. Compte tenu de la nature sensible des données que pourrait recueillir le métavers, les enjeux pourraient être considérables.
Même si les causes d’action actuellement reconnues en matière de protection de la vie privée pourraient très bien être invoquées eu égard au métavers, les tribunaux et le législateur pourraient décider de créer de nouvelles causes d’action. L’exploitant d’une plateforme de métavers pourrait-il être tenu responsable d’avoir fait preuve de négligence en ne réussissant pas à empêcher une cyberattaque qui a entraîné une violation des données d’un utilisateur? Si l’utilisateur d’une plateforme de métavers violait la vie privée d’un autre utilisateur, la plateforme pourrait-elle être tenue responsable de ne pas avoir empêché cette violation? L’avenir nous dira comment le droit évoluera en réponse à cette nouvelle réalité et aux défis qu’elle pose sur le plan juridique.
RESPONSABILITÉ DU FABRICANT
On s’attend à ce que le métavers mène à la création d’un vaste marché de produits virtuels et physiques pour les consommateurs. Des logiciels, des objets virtuels non tangibles ou de l’équipement, comme des casques et des lunettes de réalité virtuelle, sont de bons exemples de produits qui pourraient être offerts. Par conséquent, les développeurs, les fabricants, les concédants de licence, les fournisseurs et divers autres acteurs de l’industrie s’exposeront à un risque de poursuites en responsabilité du fabricant par des utilisateurs du métavers qui auront acheté ces produits.
Plusieurs types de réclamation en responsabilité du fabricant en lien avec le métavers pourraient voir le jour. Elles pourraient notamment découler de situations dans lesquelles des personnes auront subi des blessures corporelles alors qu’elles vivaient une expérience immersive de réalité virtuelle ou augmentée dans le métavers. Des demandes en dommages-intérêts pour préjudices matériels ou pertes économiques pourraient être soumises si l’utilisation du métavers ou de l’équipement y afférent causait un incident entraînant la destruction de certains biens du demandeur. Enfin, les utilisateurs du métavers pourraient être poursuivis par d’autres utilisateurs pour un acte commis dans le métavers envers une autre personne ou son avatar.
Il y a fort à parier que des arguments nouveaux et complexes seront mis de l’avant dans le cadre d’éventuelles poursuites en responsabilité du fabricant liées au métavers. Des questions pourraient se compliquer : qui devrait être tenu responsable dans le contexte du métavers, quels domaines de droit devraient s’appliquer, quel tribunal devrait être saisi d’un éventuel litige en cas de préjudice subi lors d’une expérience vécue dans le métavers ou en lien avec celui-ci. Vu la diversité des réclamations en responsabilité du fabricant que pourrait entraîner l’utilisation du métavers, les intervenants de l’industrie voudront obtenir des conseils juridiques et examiner la façon dont ils pourraient limiter leur responsabilité. Ils voudront aussi se ménager d’autres protections par le biais de clauses contractuelles, de conditions d’utilisation, de mises en garde et de modes d’emploi.
CONCLUSION
Il ne fait aucun doute que le métavers, peu importe comment il évoluera, soulèvera de nouvelles questions et posera de nouveaux défis sur le plan juridique. Ce bulletin visait à donner un aperçu des façons dont le métavers mettra à l’épreuve les processus actuels des litiges en matière de protection de la vie privée et de responsabilité du fabricant. Dans notre prochain bulletin, nous examinerons les principales questions que devraient prendre en considération les entreprises qui envisagent d’entrer dans le métavers, en ce qui a trait plus particulièrement à la réglementation relative à la protection de la vie privée.
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