Le 15 février 2022, en réponse aux événements rattachés au convoi national de camionneurs, le gouvernement du Canada a, par proclamation, déclaré l’état d’urgence en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence et a conséquemment pris le Décret sur les mesures économiques d’urgence (le « Décret »). Le Décret, qui a pris effet le jour même, soit le 15 février 2022, a différentes répercussions sur le secteur des services financiers.
De fait, le Décret interdit aux institutions financières, aux courtiers en valeurs et aux entreprises de services monétaires de faire des opérations avec des « personnes désignées » et les oblige à vérifier de façon continue si des biens qui sont en leur possession ou sous leur contrôle appartiennent à une personne désignée.
Il oblige de surcroît, dans certaines circonstances, les entités offrant une plateforme collaboratrice ou de monnaies virtuelles sollicitant des dons ainsi que les fournisseurs de services de paiement à s’inscrire en tant qu’entreprises de services monétaires auprès du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (« CANAFE ») et à soumettre des déclarations auprès ce dernier conformément à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la « LRPCFAT »).
Voici un survol du Décret :
1. Interdiction de faire des opérations avec une personne désignée
Le Décret définit ce qui est entendu par « personne désignée » pour les besoins de celui-lui et, à l’instar des lois canadiennes sur les sanctions, exige que, dès l’entrée en vigueur du décret, certaines entités visées cessent :
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toute opération portant sur un bien, où qu’il se trouve, appartenant, directement ou indirectement, à une personne désignée ou détenu ou contrôlé, directement ou indirectement, par elle ou pour son compte;
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toute transaction visant à faciliter la conclusion d’une opération sur un tel bien;
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de rendre disponible des biens (notamment des fonds ou de la monnaie virtuelle) à une personne désignée ou à une personne agissant pour son compte ou suivant ses instructions, ou au profit de l’une ou l’autre de ces personnes;
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de fournir des services financiers ou connexes à une personne désignée ou à son profit ou acquérir de tels services auprès d’elle ou à son profit.
Ces dispositions reprennent en gros ce que prévoient les lois canadiennes sur les sanctions, mais leur portée est bien plus large. Le Décret vise en effet les biens d’une personne désignée « où qu’ils se trouvent », y compris les biens « détenus » par une personne désignée, par une personne agissant pour le compte d’une personne désignée ou encore par une personne suivant les instructions d’une personne désignée. Par conséquent, l’interdiction imposée par le Décret va bien plus loin que les interdictions habituelles d’effectuer des opérations avec des personnes désignées énoncées dans les lois canadiennes sur les sanctions.
Quant à savoir qui est une « personne désignée », selon le Décret, il s’agit de toute personne physique ou entité qui participe, même indirectement, à l’une ou l’autre des activités interdites au titre des articles 2 à 5 du Règlement sur les mesures d’urgence. Constitue une activité interdite, le fait de participer à une assemblée publique dont il est raisonnable de penser qu’elle aura pour effet de troubler la paix par l’un des moyens décrits dans le Règlement; de se déplacer à destination ou à l’intérieur d’une zone où se tient une assemblée visée; d’utiliser, de réunir, de rendre disponibles ou de fournir des biens — ou d’inviter une autre personne à le faire — pour participer à toute assemblée ou faciliter une telle assemblée ou pour en faire bénéficier une personne qui participe à une telle assemblée ou la facilite.
2. Obligation de vérification
En plus d’interdire les opérations avec des personnes désignées, le Décret oblige les entités financières, au sens donné à ce terme dans le Décret, assujetties à la LRPCFAT, certaines sociétés d’assurances, les courtiers en valeurs (au sens donné à ce terme dans la LRPCFAT) ainsi que les entreprises de services monétaires canadiennes et étrangères, à vérifier de façon continue si des biens qui sont en leur possession ou sous leur contrôle appartiennent à une personne désignée ou sont détenus ou contrôlés par elle ou pour son compte. Les plateformes collaboratives et celles de monnaie virtuelle qui sollicitent des dons de même que les entités qui offrent certains services de paiement sont également visées par cette obligation de vérification.
Les fonctions décrites dans le Décret sont pratiquement les mêmes que les fonctions de paiement définies dans la Loi sur les activités associées aux paiements de détail (la « LAAPD ») et qui font qu’une entité est reconnue comme un « fournisseur de services de paiement » en vertu de cette loi. Constituent des fonctions de paiement selon le Décret les services suivants :
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la fourniture ou la tenue d’un compte détenu au nom d’un ou de plusieurs utilisateurs finaux en vue d’un transfert électronique de fonds;
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la détention de fonds au nom d’un utilisateur final jusqu’à ce qu’ils soient retirés par celui-ci ou transférés à une personne physique ou à une entité;
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l’initiation d’un transfert électronique de fonds à la demande d’un utilisateur final;
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l’autorisation de transfert électronique de fonds ou la transmission, la réception ou la facilitation d’une instruction en vue d’un transfert électronique de fonds;
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la prestation de services de compensation ou de règlement.
Par conséquent, toute entité qui correspond à la définition de fournisseur de services de paiement aux termes de la LAAPD et toute plateforme qui sollicite des dons (ainsi que les entités financières, les courtiers en valeurs et les entreprises de services monétaires) sont immédiatement tenues de vérifier de façon continue si des biens qu’elles ont en leur possession ou sous leur contrôle appartiennent à une personne désignée ou sont détenus ou contrôlés par une personne désignée ou pour son compte.
En ce qui concerne l’expression « vérifier de façon continue », il convient de souligner que, pour les institutions financières fédérales, le Bureau du surintendant des institutions financières (le « BSIF ») a publié un Guide d’instruction dans lequel il précise ses attentes à l’égard du processus de filtrage prévu dans les lois canadiennes sur les sanctions, notamment quant à la fréquence et à l’étendue du filtrage exigé. Il y a donc lieu de le consulter pour des éclaircissements. Plus particulièrement, le BSIF s’attend à ce que le processus de filtrage soit effectué au moins chaque semaine, et plus fréquemment selon le contexte; il s’attend aussi à ce que les grandes institutions financières fédérales contrôlent leurs dossiers sur une base quotidienne. Enfin, le BSIF s’attend à ce que les institutions financières fédérales appliquent les mesures de contrôle susmentionnées aux propriétaires effectifs enregistrés de clients et à d’autres tiers.
Les entités qui estiment que des biens qui sont en leur possession ou sous leur contrôle appartiennent à une personne désignée, ou qui détiennent un renseignement portant sur une transaction, réelle ou projetée, mettant en cause de tels biens, sont tenues de communiquer avec la Gendarmerie royale du Canada ou le Service canadien du renseignement de sécurité. Les entités assujetties à la LRPCFAT devraient également vérifier l’activité exercée par toute personne désignée avec qui elles font des opérations afin de déterminer si elles doivent soumettre une déclaration d’opération douteuse auprès du CANAFE.
3. Obligation de s’inscrire en tant qu’entreprise de services monétaires
Le Décret oblige les fournisseurs de services de paiement et les plateformes qui sollicitent des dons à s’inscrire auprès du CANAFE en tant qu’entreprises de services monétaires s'ils ont en leur possession un bien appartenant à une autre personne désignée ou détenu ou contrôlé par une personne désignée ou pour son compte. Tous les fournisseurs de services de paiement et toutes les plateformes qui sollicitent des fonds ne sont donc pas tenus de s’inscrire; seuls ceux ayant en leur possession un bien appartenant à une personne désignée ou détenu ou contrôlé par une personne désignée le doivent. En revanche, tous les fournisseurs de services de paiement et toutes les plateformes qui sollicitent des fonds doivent vérifier s’ils satisfont ce critère, auquel cas ils doivent s’inscrire auprès du CANAFE.
Une fois inscrits auprès du CANAFE, les fournisseurs de services de paiement et les plateformes qui sollicitent des dons sont tenus de produire des déclarations d’opération douteuse, des déclarations de biens appartenant à un groupe terroriste, des déclarations d’opérations importantes en espèces (10 000 $ CA ou plus au cours d'une même période de 24 heures), des déclarations de télévirement vers le Canada ou vers l’étranger (10 000 $ CA ou plus au cours d'une même période de 24 heures) et des déclarations de réception d’une somme importante en monnaie virtuelle (10 000 $ CA ou plus au cours d'une même période de 24 heures).
Bien que l’adoption du Décret et l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence soient remarquables en soi, et à bien des égards, elles font forte impression du côté des services financiers, puisqu’elles donnent une idée des types d’entités qui, à l’avenir, pourraient bien être assujetties aux dispositions de la LRPCFAT qui concernent les entreprises de services monétaires. Le CANAFE a jusqu’ici toujours convenu que les entités exerçant des activités liées au traitement des paiements n’étaient pas considérées comme des entreprises de services monétaires aux fins de la LRPCFAT. Il semblerait toutefois que les choses pourraient changer, et que les fournisseurs de services de paiement seront éventuellement réputés constituer des entreprises de services monétaires, probablement lorsque la LAAPD entrera en vigueur.
Les entités visées auraient tout intérêt à consulter leurs conseillers juridiques relativement à ces dispositions législatives ou aux incidences de celles-ci sur leurs obligations légales et contractuelles.
La déclaration d’état d’urgence cessera d’avoir effet après 30 jours, sauf si elle est prolongée. Cette prolongation devra être confirmée par la Chambre des communes et le Sénat dans un délai prescrit.
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