Les organismes de réglementation et les organisations environnementales sont de plus en plus enclins à demander des comptes aux sociétés qui se livrent à la pratique répandue de l’écoblanchiment, c’est-à-dire le recours à des déclarations trompeuses ou non fondées au sujet de la durabilité ou des caractéristiques environnementales d’un produit, d’un service ou d’une entreprise.
En 2021, le bureau de la concurrence et des marchés du Royaume-Uni ainsi que le Réseau international de contrôle et de protection des consommateurs (dont le Bureau de la concurrence du Canada (le « Bureau ») est un membre actif) ont passé au crible plus de 500 sites Web à l’échelle mondiale. Ils ont découvert que plus de 40 % de ces sites semblent avoir recours à des tactiques axées sur la publicité verte pouvant être considérées comme étant trompeuses et en contravention des lois applicables en matière de protection des consommateurs.
Les poursuites ou les mesures réglementaires ciblant de prétendus cas d’écoblanchiment demeurent relativement peu courantes au Canada. Toutefois, les choses sont en train de changer. Les organismes de réglementation consacrent plus de ressources qu’avant aux enquêtes sur les cas d’écoblanchiment et à la lutte contre ce phénomène. Les sociétés qui font des déclarations publiques au sujet du rendement en matière environnementale de leurs produits ou de leur entreprise pourraient ainsi s’exposer à des responsabilités accrues.
Dans ce cadre juridique en constante évolution, les hauts dirigeants et les avocats de contentieux peuvent atténuer les risques juridiques auxquels sont exposées leurs sociétés en cernant les zones de vulnérabilité et en s’y attaquant de façon proactive.
Le présent bulletin explique comment les entreprises canadiennes peuvent être tenues responsables d’écoblanchiment dans le contexte de la législation sur la concurrence. Le Bureau a mené des enquêtes à la suite de plusieurs plaintes d’écoblanchiment au cours des trois dernières années, l’une d’entre elles ayant notamment donné lieu à un important règlement. Le Bureau a également signalé que les allégations environnementales sont une priorité pour lui.
Étant donné que les mesures d’application de la loi et les réclamations de nature privée alléguant des violations de la Loi sur la concurrence (la « Loi ») devraient augmenter au cours des prochaines années, il est important d’examiner comment les pratiques commerciales de votre organisation pourraient exposer celle-ci à des responsabilités.
Législation sur la concurrence
Le Bureau applique de multiples lois qui interdisent les déclarations fausses ou trompeuses au sujet d’un produit ou d’un service. La Loi est celle dont la portée est la plus large et dont les pénalités prévues sont les plus élevées. Par conséquent, les initiatives du Bureau en matière de lutte contre l’écoblanchiment ont été concentrées sur le respect des interdictions de la Loi visant les indications fausses ou trompeuses et les pratiques commerciales trompeuses. Pour ce faire, le Bureau invoque deux dispositions clés :
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En vertu du paragraphe 52(1) de la Loi, constitue une infraction criminelle le fait pour une personne de promouvoir un produit, un service ou un intérêt, sciemment ou sans se soucier des conséquences, en donnant des indications fausses ou trompeuses sur un point « important ».
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Pour sa part, l’alinéa 74.01(1)a) de la Loi est une interdiction de nature civile visant les pratiques commerciales trompeuses qui permet au Bureau ou à des demandeurs privés de demander un redressement en cas de prétendu écoblanchiment. Cet article, comme dans le cas de l’infraction criminelle prévue à l’article 52, interdit à quiconque de donner au public des indications qui sont fausses ou trompeuses sur un point « important ».
Dans les deux cas, une indication est considérée comme fausse ou trompeuse non seulement d’après le sens littéral des mots utilisés pour la communiquer, mais également selon l’« impression générale » donnée par l’indication. Pour établir l’importance d’une indication fausse ou trompeuse alléguée, on se demandera si l’information donnée ou omise pourrait avoir influencé le comportement d’un consommateur, par exemple, en incitant celui-ci à acheter ou à utiliser un produit ou un service.
L’interdiction de nature civile prévue à l’article 74.01 se distingue de deux principales façons de son équivalent criminel. D’abord, l’article 74.01 ne comprend pas l’élément mental requis au criminel. Par conséquent, en vertu de l’interdiction de nature civile, il n’est pas nécessaire de prouver une intention de tromper. Ensuite, la responsabilité est prouvée selon la prépondérance des probabilités plutôt que selon la norme plus rigoureuse de la preuve « hors de tout doute raisonnable » qui s’applique aux affaires criminelles. Tout ce qu’il faut démontrer est que l’acte ou l’omission allégué est plus probable qu’improbable. Dans la plupart des cas, le Bureau choisira d’agir en vertu du régime civil.
Le Bureau a récemment archivé son document intitulé Déclarations environnementales : Guide pour l’industrie et les publicitaires (le « Guide »), précisant que le Guide pourrait ne pas refléter les politiques ou les pratiques actuelles du Bureau. Le Guide détaillé a été remplacé par une orientation plus générale accessible à partir du site Web du Bureau, créant du même coup plus d’ambiguïté parmi les entreprises quant à la façon d’étayer des déclarations environnementales.
Responsabilités réglementaire et civile en vertu de la Loi sur la concurrence
Lorsque le Bureau a des raisons de croire qu’une personne a contrevenu à l’interdiction de nature criminelle ou civile visant des indications fausses ou trompeuses, il peut lancer une enquête afin de déterminer s’il y a lieu de prendre des mesures d’application de la loi. Il peut également obtenir des ordonnances judiciaires obligeant la cible de cette enquête à produire des documents et des données. Après son enquête, si le Bureau estime que la disposition civile de la Loi a été violée, il peut :
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négocier un consentement avec le prétendu contrevenant, lequel consentement pouvant comprendre l’une ou l’autre des conditions que le Tribunal de la concurrence peut imposer (voir ci-dessous) ou d’autres conditions, comme exiger que le prétendu contrevenant mette en œuvre un programme de conformité d’entreprise;
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demander au Tribunal de la concurrence de rendre une ordonnance intimant au prétendu contrevenant de faire l’une ou plusieurs des choses suivantes :
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cesser de donner des indications fausses ou trompeuses;
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publier un avis corrigeant les prétendues indications trompeuses;
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payer aux personnes touchées une somme ne pouvant excéder le revenu tiré de la vente du produit ou du service;
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en ce qui concerne les sociétés, payer une sanction administrative pécuniaire (une « SAP ») maximale qui ne peut dépasser le plus élevé des montants suivants : (i) 10 M$ CA, dans le cas d’une première occurrence, ou (ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur (ou, si ce montant ne peut pas être calculé facilement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la société).
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La possibilité d’ordonner une SAP maximale de 3 % des recettes globales brutes annuelles de la société concernée, qui est nouvelle, constitue un moyen dissuasif ainsi qu’un redressement potentiellement redoutables. Le bénéfice tiré du comportement trompeur sera vraisemblablement difficile à évaluer dans la plupart des cas, et les sanctions pourraient être fondées sur le pourcentage des recettes globales.
Lorsque le Bureau estime que la disposition criminelle de la Loi a été violée, il peut renvoyer l'affaire au Service des poursuites pénales du Canada afin que des poursuites criminelles soient intentées. Sur déclaration de culpabilité, le tribunal peut imposer une amende d’un montant illimité ainsi qu’une peine de prison maximale de 14 ans.
Des personnes du secteur privé, comme les consommateurs et les concurrents, peuvent également intenter des actions civiles en dommages-intérêts. Toutefois, ceci peut uniquement être fait en vertu de la Loi, lorsque l’interdiction de nature criminelle visant la publicité fausse ou trompeuse a été violée.
Récentes mesures d’application de la loi du Bureau
L’une des enquêtes les plus notables en matière d’écoblanchiment que le Bureau a menées au cours des dernières années visait des indications données par Keurig Canada Inc. (« Keurig ») au sujet de la recyclabilité de ses capsules de café à usage unique. L’enquête du Bureau a permis de déterminer que ces indications étaient fausses ou trompeuses puisque la plupart des municipalités en dehors du Québec et de la Colombie-Britannique n’acceptaient pas les capsules de café de Keurig ou obligeaient les consommateurs à suivre des étapes compliquées afin de préparer les capsules pour le recyclage.
En janvier 2022, Keurig a conclu un règlement avec le Bureau, dans le cadre duquel elle a convenu de payer une sanction de 3 M$ CA, de faire un don de 800 000 $ CA à un organisme de charité et de payer une somme supplémentaire de 85 000 dollars pour couvrir les frais de l’enquête du Bureau.
Le Bureau a également reçu des plaintes d’écoblanchiment qui alléguaient que des indications visant des certifications relatives à des programmes et des pratiques de foresterie durable en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre (« GES ») ou des efforts en vue de faciliter la transition vers une économie à faibles émissions de carbone étaient fausses ou trompeuses. Certaines de ces plaintes ont entraîné des enquêtes fortement médiatisées. Une de ces enquêtes a été lancée en novembre 2022 à la suite d’une plainte de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement. Il était allégué dans cette plainte que les indications formulées par l’Association canadienne du gaz dans l’une de ses campagnes publicitaires selon lesquelles le gaz naturel serait « propre » et « rentable » étaient fausses et trompeuses. Cette enquête ainsi que des enquêtes dans le secteur de la foresterie et des services financiers sont toujours en cours.
L’augmentation du nombre d’enquêtes menées par le Bureau à l’égard des représentations environnementales faites par des entreprises semble être alimentée, du moins en partie, par une nouvelle stratégie adoptée par les environnementalistes. En effet, les groupes d’activistes ont commencé à déposer des demandes en vertu de l’article 9 de la Loi, lequel prévoit que six personnes peuvent demander au commissaire de la concurrence de procéder à une enquête à l’égard d’un comportement qui contrevient aux dispositions sur la publicité trompeuse de la Loi. Le recours aux plaintes formulées par six personnes en vertu de l’article 9 de la Loi semble être à l’origine des plus récentes enquêtes en matière d’écoblanchiment du Bureau.
Actions collectives en matière de changements climatiques possibles
En vertu du paragraphe 36(1) de la Loi, toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de la Loi, laquelle renferme l’interdiction de nature criminelle visant les indications fausses ou trompeuses, dispose d’un droit d’action prévu par la loi. Les actions collectives en matière de changements climatiques se multipliant dans des ressorts à l’extérieur du Canada, particulièrement aux États-Unis, il est de plus en plus vraisemblable que des demandeurs éventuels se serviront de ce droit d’action prévu dans la Loi, ainsi que dans les lois provinciales sur la protection des consommateurs, pour intenter des actions collectives reposant sur des allégations d’écoblanchiment.
Un nombre croissant d’actions collectives fondées sur des allégations de contravention aux dispositions criminelles de la Loi ont été entamées au cours des dernières années, en partie en raison d’une série de décisions rendues par la Cour suprême du Canada en faveur des demandeurs. Ces décisions comprennent une trilogie d’affaires tranchées par la Cour suprême en 2013 (Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company et Infineon Technologies AG c. Option consommateurs) ainsi qu’une affaire tranchée en 2019 (Pioneer Corp. c. Godfrey). Dans le cadre de ces décisions, la Cour suprême a autorisé des groupes d’acheteurs indirects à procéder et a abaissé la norme applicable en matière de preuve à l’étape de l’autorisation, créant du même coup des conditions plus favorables qu’avant pour un plus large éventail d’actions collectives fondées sur des questions de concurrence.
Les actions collectives alléguant des comportements allant à l’encontre d’une disposition de la partie IV de la Loi ont généralement été fondées sur des allégations de collusion. Cela dit, des actions visant des pratiques commerciales trompeuses de nature criminelle ont également été intentées, habituellement à la suite de procédures couronnées de succès aux termes de la Loi ou après que le prétendu contrevenant a conclu un consentement avec le Bureau. En 2022, par exemple, une action collective a été intentée contre Keurig et alléguait que les capsules de café à usage unique de cette dernière ne sont pas recyclables, contrairement à ce que laissaient entendre les pratiques commerciales et l’étiquetage des capsules. L’action collective a démarré peu de temps après l’annonce du consentement négocié entre Keurig et le Bureau et n’est pas encore rendue devant les tribunaux.
En outre, dans une action collective engagée en 2015 contre Volkswagen AG et un certain nombre des filiales canadiennes de celle-ci, il était allégué que le fabricant automobile avait fait d’importantes déclarations fausses et trompeuses au sujet des émissions de gaz d’échappement des modèles des années 2009 à 2015 de certains véhicules à moteur diesel, laissant croire aux consommateurs que ces modèles étaient plus « propres » qu’ils ne l’étaient en réalité. En avril 2017, cette action collective a fait l’objet d’un règlement d’un montant de 2,1 M$ CA à l’égard des véhicules dotés de moteurs diesel de deux litres. Il s’agissait alors de l’un des plus importants règlements en faveur des consommateurs de l’histoire juridique du Canada. Un autre règlement a ultérieurement été conclu en 2018 à l’égard des véhicules dotés de moteurs diesel de trois litres pour un montant de 290,5 M$ CA, démontrant là aussi le grand potentiel des règlements et des montants en dommages-intérêts pouvant être accordés dans le cadre d’actions collectives fondées sur des questions de concurrence.
Alors que les allégations environnementales continuent de recevoir plus d’attention et que le Bureau augmente ses activités au chapitre de l’application de la loi, nous prévoyons que des demandeurs potentiels envisageront de déposer des réclamations alléguant une violation de la Loi, d’autant plus que de telles causes d’action peuvent être invoquées parallèlement à d’autres recours en common law et en equity.
S’il n’est pas toujours facile d’être vert, il n’en reste pas moins que les entreprises qui prennent des mesures proactives pour vérifier soigneusement les indications qu’elles donnent au sujet de leurs produits et services peuvent atténuer leurs risques de responsabilité pour écoblanchiment.
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